• Du 16 novembre au 04 décembre 2009 (655 km)

    Le jour de notre départ d'Hiroshima, nous devons rejoindre Fukuyama où nous sommes attendus par un autre espérantiste. Malheureusement, le trafic intense de camions et les fréquentes averses de pluie nous ralentissent beaucoup. En soirée nous sommes encore loin de notre destination. Nous trouvons refuge sous un abribus à proximité d'une université. Au petit matin, notre toit de tente est sec mais le tapis de sol a épongé l'eau ruisselante. Nous sommes trempés et gelés. Sans perdre de temps, nous pédalons jusqu'à Fukuyama où nous attend Yuda, conducteur de train à la retraite. En soirée, il nous invite au restaurant et il nous explique que le symbole de la paix dans cette ville, c'est la rose de papier. Fukuyama étant proche d'Hiroshima, de nombreuses personnes ont perdu des membres de leur famille. Yuda est un pacifiste déterminé d'autant plus que l'histoire de sa vie est liée à la bombe atomique. Il nous raconte que lorsqu'il était petit garçon, son père devait partir travailler exceptionnellement à Hiroshima, presque en dessous de ce que l'on appelle aujourd'hui le point zéro (endroit sous lequel la bombe a explosé dans le ciel). Toute la soirée, Yuda a attendu son père qui n'est jamais rentré. Allez expliquer à un enfant dans le cas présent, pourquoi son papa ne reviendra jamais à la maison.
    Le lendemain, il nous montre le grand jardin des roses où plus de 5000 habitants de Fukuyama ont planté un rosier en symbole de paix. Yuda nous montre la petite plaque qui porte son nom, au pied de son rosier. Avant de partir, il nous donne un petit guide d'origami pour apprendre à faire des roses en papier.

    Nous commençons la journée sur une route vraiment pas terrible, toujours en zone plus ou moins urbanisée avec notamment le passage périlleux sur l'autoroute aérienne. Heureusement, à l'entrée d'un musée, nous avons rendez-vous avec le super cycliste espérantiste Araï. Il nous promène sur de toutes petites routes et des chemins de campagne déserts et absolument magnifiques. Nous prenons une très agréable pause dans un salon de thé au pied d'un très vieux temple. Araï nous prend par les sentiments en nous offrant une soupe sucrée à base d'une variété locale de riz rouge, cultivé selon des méthodes traditionnelles et donc sans pesticide. La nuit tombe, mais nous avons un bon guide. Nous continuons la balade et nous visitons d'autres vieux temples illuminés par des centaines de lampions de papier. L'ambiance est irréelle ! Enfin nous arrivons chez Hideki et Idara Harada juste pour nous mettre les pieds au chaud sous la table basse et commencer un délicieux repas. Dans la soupière pleine de shabu shabu (genre de soupe de légumes divers), on rajoute régulièrement du saké. Après l'effort, l'alcool chaud que l'on boit à grande goulée dans la soupe, finit par nous tourner la tête.

    Après une bonne nuit de sommeil, Araï vient nous retrouver pour nous emmener voir sa fille et son petit fils. Nous allons en vélo jusqu'à la gare, puis nous prenons un train qui traverse la mer intérieure sur un immense pont, pour atteindre l'île de Shikoku. De retour sur Onshu, la fille d'Araï nous retrouve pour une balade dans une réserve naturelle du littoral, puis une délicieuse soupe de oudons. La cuisine japonaise est sans doute l'une des plus impressionnante au monde. Outre les saveurs extrêmement développées et variées, les japonais donnent une très grande importance à la présentation. Nous allons de surprise en surprise, ainsi, lorsque nous mettons les crevettes panées brûlantes dans la soupe de oudons bouillante, les crevettes deviennent effervescentes et notre nourriture se met à crépiter intensément. La nourriture devient alors visuelle et auditive en plus d'être goûtue.

    De retour à Okayama, nous avons rendez-vous avec des journalistes dans le parc de Kora kuen. Nos amis profitent de notre passage pour refaire un peu de publicité pour l'espéranto et bien sûr, pour que l'on parle de notre Portrait de Planète. Avec Kenro Kuen que nous avions visité sous la pluie en compagnie du professeur Tatchimoto, le parc de Kora kuen est l'un des 3 plus beaux du Japon. Dans ce parc, on essaye d'aider la reproduction des fameuses grues du Japon, symbole national et symbole de paix et longévité. Cet oiseau magnifique est passé très près de l'extinction il y a quelques années. Aujourd'hui en sursit, tout le monde s'émeut de la beauté et de la grâce de cet animal.
    Idara est contente de pédaler avec des cyclistes venus de loin. Elle aussi est une très grande cycliste. Elle n'a pas son permis de conduire et toute sa vie pour se rendre à son travail, été comme hiver, elle parcourait ses 12 kilomètres quotidiens sur son vélo japonais.

    Pour notre départ, Araï nous accompagne sur une vingtaine de kilomètres et nous donne quelques idées d'endroits où camper. En fin de journée, nous nous faisons virer d'un parc par le gardien, mais nous sommes relogés dans un meilleur endroit, sur le bord de la mer, à quelques mètres des vagues. Au réveil, nous sommes encerclés par un groupe de japonais ornithologues suréquipés en jumelles, longues vues et appareils photos. Ils sont venus observer les nombreux oiseaux de mer qui prennent leur petit-déjeuner près des rochers du rivage. Après avoir débattu sur l'itinéraire du jour, nous décidons de prendre la route la plus longue et difficile, mais aussi et de loin, la plus belle et la plus tranquille. Il y a toutefois des choses qui nous surprennent, comme ces gros chantiers navals en plein milieu de réserves naturelles classées.

    En soirée, nous arrivons à Himéji, ville célèbre pour son impressionnant château et les nombreux yakuzas qui se font la guerre et mènent plus ou moins discrètement leurs trafics divers. La météo annonce de la pluie. Il nous faut donc à tout prix, trouver un abri pour la nuit. Nous nous mettons en quête d'un toit de très bonne heure, mais tous les dessous de ponts et tous les abris possibles sont déjà pris par des groupes de sans-domicile. Ils sont des centaines et des centaines de malheureux, victimes de notre société, esclave du profit et d'une poignée de profiteurs. Leur seul chance, c'est d'être pauvres dans un pays riche et gaspilleur. Il peuvent ainsi s'équiper gratuitement en vélos de récupération, sacs à dos, petites radios, parapluies, chaussures, etc. Nous partageons notre repas du soir avec un vieux clochard cycliste ''mono-denté''. Il nous parle beaucoup, malheureusement nous ne comprenons pas grand chose. En échange de la nourriture, il nous offre un peu de musique. Il sort de son sac une vieille radio à pile et nous met un programme musical joyeux, en totale opposition avec la misère que reflète le visage de ce pauvre vieillard. Très tard dans la soirée, après avoir fait le tour de tous les abris, nous décidons de camper (malgré l'interdiction) sur la scène couverte aménagée dans le parc au pied du château.

    Au petit matin, nous sommes réveillés par un sexagénaire karatéka qui pratique un peu son art martial et maîtrise parfaitement les ninchakous, le sabre, le bâton et le grand écart. Ensuite, un saxophoniste vient partager la scène avec un vieux monsieur qui fait des pompes les jambes surélevées posées sur les gradins et une bande de vieillards habitués qui viennent jouer aux dominos sur la scène. Nous laissons tout ce petit monde à Himéji et nous reprenons la route vers Kobé. Désormais, les moments où nous pouvons pédaler en sécurité sur des routes de campagne deviennent très rares. La plupart du temps, les trottoirs étant trop étroits, nous n'avons d'autre choix que de rouler sur la route, ce qui ne plait pas à tous les automobilistes. Pour la première fois depuis que nous sommes au Japon, nous nous faisons engueuler par un chauffard. Dans sa grosse bagnole immatriculée 666, petites lunettes de soleil rondes sur le bout du nez, cheveux plaqués en arrière à la façon Travolta dans le film ''Pulpe Fiction'', les bras maigres et tout tatoués, la peau abimée probablement par toute la drogue qu'il a dû sniffer, pas de doute, c'est un yakuza. La route est trop étroite pour qu'il nous dépasse. A bout de nerfs, il klaxonne, fait vrombir son moteur, nous menace en se rapprochant rapidement des vélos. Il nous gueule dessus des insultes que les japonais n'osent même pas nous traduire par la suite. La femme qui l'accompagne nous aboie littéralement dessus : Djama ! Djama ! (dégage, dégage !). Malgré tout, même s'il nous fait un peu peur avec sa voiture, ce petit roquet ne nous impressionne pas beaucoup. Il finit par passer et se retrouve rapidement coincé derrière d'autres voitures. Pauv' type !

    Entre Himéji et Kobé, les yakuzas sont rois et allez savoir pourquoi, les Pachinkos sont aussi à touche-touche. Dans cette partie du Japon, les familles pauvres sont aussi majoritaires. A la sortie d'un magasin à prix discount, des pauvres gens s'extasient devant nos montures chargées. Un vieux monsieur qui parle un peu allemand nous fait comprendre que la vie n'est pas facile. Les sous manquent et il faut faire très attention à comment on les dépense. Il charge ses commissions sur son vieux vélo rouillé, sans lumière, sans frein, sans garde-boue et bientôt sans pédale ni chaîne, puis avant de partir nous fait cadeau du kilo de mandarines qu'il vient d'acheter 100 yens (environ 80 cents d'euro). Pour cette nuit nous trouvons un bon abri dans un beau parc boisé. Encore une fois, nous ne sommes pas seuls. D'autres sans logis dorment à proximité, sous des cabanes de bois et de plastique bleu. Il pleut toute la nuit.

    Le lendemain à Kobé, nous retrouvons Oki, un espérantiste qui nous accompagne dans le mémorial du célèbre tremblement de terre de 1995. Oki nous en parle très bien car il est l'un des survivants. Véritable scénario catastrophe, le Japon, pourtant vieil habitué des séismes, s'est laissé surprendre à 5h46 du matin par une secousse de magnitude 7,3. En quelques secondes, les maisons, les immeubles, les routes aériennes, s'effondrent. Le sol s'ouvre, les voitures disparaissent. Des courts-circuits partout provoquent des incendies, les canalisations d'eau éclatent. La ville n'est plus habitable. Les familles qui ont perdu leur maison se retrouvent logées dans des mobile-homes pour une durée indéterminée. La seule chance dans tout ce malheur, c'est que les japonais en ont vu d'autres. Après les bombes atomiques d'Hiroshima et Nagasaki, c'est triste à dire, mais ils savent mieux que n'importe quel autre pays au monde comment s'organiser dans l'urgence. L'aide internationale arrive aussi en réconfort et la ville se reconstruit à une vitesse incroyable. Ce séisme à permis de développer de nouvelles méthodes de constructions capable de supporter les grosses colères de la terre. Lorsque nous sortons du mémorial, Oki nous donne rendez-vous chez Ricko, une autre espérantiste très dynamique que nous avions rencontré au congrès national de Kofu. Elle habite assez loin et nous pédalons 2 heures de nuit, le long de grands boulevards, pendant que Oki se rend chez elle en 45 minutes de train. Ricko, qui est professeur d'espéranto, nous invite à faire une présentation de notre voyage devant ses élèves lycéens. Le lendemain, nous sommes très bien reçus par la direction du lycée, puis, les étudiants ont droit à une démonstration réelle de l'utilité de l'espéranto comme moyen de communication. Au travers du récit de voyage, nous essayons de les informer sur l'état de santé de la planète.

    Nous restons une nuit supplémentaire chez Ricko, puis au lieu de rentrer tout de suite à Osaka, nous décidons de passer une deuxième fois à Kyoto. Le soir, nous avons rendez-vous à la maison de l'espéranto de Kyoto où Tahira Masako doit nous guider jusque chez elle. Mais avant même de rejoindre l'ancienne capitale, nous avons rendez-vous pour un déjeuner biologique chez Yoko Matuda, une militante écolo qui lutte contre les OGM au Japon. Elle nous parle de Fukuoka, ce paysan qui avait dû lutter contre Monsanto, ce géant américain qui voulait lui acheter les variétés de riz qu'il avait mis tant de temps à sélectionner. Ce que Yoko nous raconte sur ce qu'elle vit au Japon à propos du nucléaire ou des OGM est en tout point similaire à ce que nous avons vu dans les autres pays. A chaque fois, une élite politique se soumet à la volonté des multinationales et la population est volontairement mal informée ou complètement désinformée pour être dispensée de faire des choix. Yoko collecte les semences traditionnelles pour les conserver et les protéger de ces multinationales qui fabriquent des OGM et privatisent les plantes et les animaux. Après un excellent repas et une discussion trop intéressante pour y mettre un terme aussi rapide, nous reprenons notre route en direction de Kyoto.

    En début de nuit, nous retrouvons Masako en compagnie d'autres espérantistes dans la maison de l'espéranto de Kyoto. Nous réservons la prochaine soirée pour une présentation de notre voyage puis nous rentrons chez Masako, dans sa belle et vieille maison de ville. Après une courte nuit, nous avons rendez vous avec un cycliste espérantiste qui se propose de nous guider à la découverte de Kyoto. Cette journée ensoleillée de fin novembre est sans aucun doute le meilleur moment pour découvrir ce que le Japon offre de plus beau. L'automne. Malgré les régiments entiers de photographes venus comme nous, faire le plein de couleurs dans les parcs entourant les vieux temples, nos yeux s'écarquillent et nous emmènent loin, très loin, dans un autre monde. Le soir à la présentation de notre voyage, en réponse à la récurrente question : quel à été votre pays préféré ? Difficile de ne pas mettre le Japon parmi les favoris.

    De retour chez Masako, militante écolo toujours à vélo, une discussion sur Hiroshima nous emmène sur le thème du nucléaire. Elle nous apprend que dans les centrales japonaises, le sale boulot est effectué par des intérimaires qui se déplacent de centrales en centrales. On les appelle les Tziganes du nucléaire, comme en France, les fameux nomades. Il bousillent leur santé en effectuant les travaux les plus pénibles et les plus dangereux dans les coins chauds des centrales. Ils sont payés une misère, vivent dans des caravanes ou dans des dortoirs et ont peu de chance de profiter un jour de leur retraite.

    Le 27 novembre, c'est une longue journée de vélo pour rentrer chez Arisa à Izumi Shi, au Sud d'Osaka. Comme nous avions fait le trajet inverse il y a près de 3 mois, nous pensons que la rive gauche du Yodugawa sera plus agréable à longer. Effectivement, nous trouvons une belle piste cyclable aménagée dans une vaste zone inondable. Le seul gros problème qui gâche tout, ce sont ces foutues barres de fer censées filtrer les véhicules motorisés pour ne laisser passer que des vélos sans sacoches. Tous les kilomètres, nous sommes obligés de porter nos énormes montures au dessus de ces fichus barrières. De retour chez Arisa et Kimiko, en plus de se sentir comme à la maison, nous sommes accueillis comme des rois. Un bain chaud nous attend, suivi d'un bon repas et d'un lit confortable. Le prochain bateau pour la Chine est dans une semaine. Nous prenons le temps de revoir le contenu de nos sacs et nous renvoyons en France les petits objets accumulés au fur et à mesure des rencontres et découvertes. Nous en profitons aussi pour vérifier les vélos et acheter quelques pièces de rechange dans le même magasin que nous avions découvert en arrivant au Japon.

    Au moment de partir, nous avons le coeur lourd. Nous attendions tellement de ce pays, qu'il aurait été facile d'être déçu. Bien au contraire, le choc culturel a été encore plus profond que ce que nous avions imaginé. Nous avons retrouvé des amis, nous sommes rentrés dans des maisons et nous avons vécu au rythme de la vie traditionnelle japonaise. Sur le pont du bateau, nos bras s'agitent vers le quai où Kimiko et Arisa, comme nous, ont les yeux brouillés de larmes. Les amarres sont larguées, l'encre levée, la corne de brume du bateau salue une dernière fois le Japon et nous voici partis pour de bon.
    Entre Shikoku et Onshu, nous regardons les montagnes et les villes que nous avons traversés. A peine au large de Kiushu, la mer devient mauvaise. Notre immense bateau soulève sans cesse sa coque hors de l'eau avant de retomber dans un immense fracas. Plus personne ne se promène sur le pont ou dans les couloirs. Le capitaine est concentré sur les vagues et les passagers comme nous, misérables marins d'eau douce, se laissent torturer par le fantôme du ''mal de mer'' qui vient nous tirer les boyaux et nous laisse plié en deux, la tête dans un sac plastique. Il n'y a qu'à être patients, on finira bientôt par arriver dans les eaux boueuses de la mer jaune. Les immenses cargos porte-conteneurs se font de plus en plus nombreux, nous approchons de la Chine. La page du Japon est tournée, mais l'aventure continue.

     


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  • Du 13 au 15 novembre 2009 (84km)

    Nous voici donc partis sous un ciel très noir et menaçant en direction de l'un des plus sombres souvenirs de l'histoire de l'humanité : Hiroshima.

    La menace de la pluie ne nous empêche pas d'apprécier les paysages du littoral avec ces petits villages traditionnels de pêcheurs. Nous pédalons assez bien, à une vitesse moyenne de 22 km/h. La peur de rouler sous les averses nous fait probablement accélérer un peu. Au bout de 20 km, nous faisons une première pause thé et biscuit à proximité d'un marécage. En contemplant les nénuphars et autres plantes aquatiques, nous apercevons à 3 mètres du bord, un bout de ferraille qui ressemble à une cage ou un panier. L'envie nous prend de voir ce que c'est. Nous réussissons rapidement à attraper le bout de fer avec notre corde à linge terminée par une multi-clé à écrous. Pas facile de ramener ce gros poisson. Quelle surprise ! Nous ressortons de l'eau un magnifique vélo super équipé avec lumière et dynamo dans le moyeu, panier à commissions, protège dérailleur, etc. Nous laissons ce trésor sur le bord de la route en espérant qu'il servira à quelqu'un. Quelques kilomètres plus loin, nous croisons un cycliste voyageur chargé comme une bourrique. Avec un vélo comme ça, c'est sûrement un français. A tout hasard nous disons bonjour. Bingo ! Cocorico ! C'est un normand et il s'appelle Nicolas ! Nous allons nous installer pour le déjeuner sur le parking d'un convenient store où nous faisons le plein d'eau chaude pour le thé. Nico voyage avec un autre Nico, mais ils se sont séparés pour quelques temps avant de se retrouver plus loin. Partis pour un tour du monde, Il a commencé son voyage au Japon pour s'habituer au dépaysement et à la vie nomade dans un pays où il est facile de survivre. Nous discutons comme de vrais pipelettes si bien que l'après midi passe sans que l'on ne s'en aperçoive. Vers 17h00, la nuit tombe et la pluie finit par mettre un terme à notre conversation. Il nous reste une cinquantaine de kilomètres à parcourir. Cela ne va pas être une partie de plaisir. Plus nous approchons d'Hiroshima plus le trafic et la pluie se font intenses. Une erreur d'aiguillage nous conduit sur l'autoroute aérienne. Imaginez vous un peu l'effet que cela peut produire de se retrouver laàdessus aux heures de pointe, de nuit, trempés jusqu'aux os, sous la pluie. Au bout de 5 km, la police nous rattrape. Nous sommes presque contents qu'ils nous arrêtent. Peut-être vont-ils nous escorter, ou mieux, nous prendre en stop et nous faire descendre de ce cauchemard. Le vieux policier accompagné d'un jeune formé nous dit très en colère que ''mitchi ni gitencha DAME!'' (sur la route 2, les vélos sont interdits !). Alors nous lui répondons ''Gomen nasai, Hiroshima mitchi, gitencha dé, doko deska ?'' (pardon, mais la route pour Hiroshima, à vélo, c'est par où ?). Les deux policiers nous guident vers des escaliers et sans nous verbaliser, ils nous aident à porter les vélos tout en bas de la route aérienne et retournent trempés dans leur voiture après nous avoir souhaité bon courage et prudence. C'est bizarre, mais nous avons du mal à imaginer des policiers français agir de même aujourd'hui, surtout s'ils ont affaire à des étrangers?!
    Sortis de l'enfer de l'autoroute, nous nous retrouvons perdus sur les flancs de montagne dans la périphérie d'Hiroshima. C'est avec toutes les peines du monde que nous parvenons à rejoindre le centre ville et le mémorial où nous avons rendez-vous avec un couple d'espérantistes rencontrés au congrès national quelques semaines auparavant. Sous la galerie du musée, des dizaines de sans-domiciles dorment recroquevillés dans des cartons. Nous sommes trempés depuis plusieurs heures et le vent nous glace le corps. C'est certain, nous serions tombés malades si, à peine arrivés dans la maison de nos amis, nous n'avions pu prendre un bon bain chaud aux huiles essentielles. Sans aucun doute, le bain le plus apprécié de notre vie.
    Le lendemain, le temps est magnifique et très ensoleillé. Nos hôtes nous conseillent donc d'en profiter pour aller faire un tour sur l'île préférée des japonais. Nous partons de bonne heure en train pour arriver parmi les premiers sur l'île, lorsqu'il n'y a pas encore la foule. Ici aussi, les daims se baladent en liberté au milieu des visiteurs. Au pied de l'île, un village propose tout un tas de boutiques d'artisanat et notamment des pâtisseries préparées par un système complètement mécanisé. Et oui, nous sommes au Japon, on adore les robots !
    Autour des vieux temples, les arbres aux couleurs d'automne rendent la vue sublime, mais ce n'est rien comparé à la vue que l'on a depuis le sommet rocheux de l'île. La baie calme d'Hiroshima est d'un bleu intense et de l'horizon brumeux ressortent les montagnes. Au sommet, un temple continue d'entretenir la flamme d'Hiroshima, récoltée pendant le gigantesque incendie qu'a provoqué la bombe. Cette flamme continue de parcourir le monde entier en implorant la paix et le désarmement nucléaire.

    De retour de cette longue promenade nous allons contempler le soleil couchant au sommet d'une petite montagne à l'est d'Hiroshima. Vue depuis les hauteurs, Hiroshima est une ville moderne et entièrement reconstruite. Nous qui pensions arriver sur de vieilles ruines. Nos amis espérantistes qui sont des enfants d'Hiroshima, nous expliquent qu'après la bombe, il n'y avait plus d'espoir de vivre. Comment reconstruire quelque chose sur un tel lit de morts ? Et puis au bout de quelques mois, au milieu des ruines et des restes de cendres humaines, des fleurs ont commencé à repousser. L'esprit japonais qui est débordant de vie a repris le dessus. Les survivants ont pensé qu'il était impossible de laisser gagner la mort et la guerre. En regardant ces fleurs et ces arbres qui repoussaient sur les ruines, ils ont décidé que c'est la vie qui, plus que jamais, devait reprendre ses droits. Ces japonais du bout du monde devenaient dans le même temps les plus grands défenseurs de la paix. En parlant la langue internationale de la paix, nos guides nous immergent dans l'histoire d'Hiroshima avec une telle intensité que nous avons l'impression de vivre l'avant, l'après et l'heure H de la bombe. Après une approche par la discussion, la lecture de documents, puis la visite des lieux et du mémorial, nous avons eu droit à un vrai cours d'histoire. A quoi ressemblait la ville avant la bombe ? Qui étaient ses habitants ? Comment cela est-il arrivé ? Quel a été la force de l'explosion ? Qu'ont vu les gens ? Dans quels conditions sont-ils morts ? et après ? et aujourd'hui ?

    Voici un bref résumé des heures de discussions et de tous les documents qu'on nous a montrés. Les âmes sensibles peuvent sauter ce chapitre. Pour tout vous dire, nous deux qui sommes de vrais amoureux de la vie et de l'aventure humaine sur terre, nous sommes ressortis d'Hiroshima avec un certain dégoût envers cette humanité. Plus tard nous avons remonté la pente jusqu'à aimer à nouveau la vie, car il y a encore de la vie et des choses formidables sur terre qui en valent la peine. Nous espérons simplement que, vous qui lisez cette histoire, vous prendrez conscience que c'est aussi la votre et celle de vos enfants et qu'il est grand temps d'agir par vous même, sans attendre les ordres de ceux qui sont aux commandes (et fiers en plus) de puissances nucléaires aussi puissantes et destructrices.

     

    Hiroshima était, avant l'explosion, une ville étudiante et militaire. De nombreux bateaux de guerre étaient amarrés dans la baie et de nombreuses écoles et universités étaient implantées à Hiroshima. Donc, une population très jeune ! La ville était dense, les rues étroites se déroulaient entre des maisons basses en bois. Les commerces étaient très nombreux. A cette époque, le Japon n'avait pas beaucoup d'amis. Il faut dire qu'il avait fait couler pas mal de sang sur le grand continent asiatique, notamment en Chine et Corée. Peu de temps avant la bombe atomique, les américains faisaient déjà pleuvoir leurs bombes sur bon nombre de villes japonaises (Tokyo, Osaka, Kobé...). Les japonais avaient donc lancé une grande campagne de démolition des maisons traditionnelles en bois pour éviter que les incendies ne se propagent. Bizarrement, Hiroshima, qui faisait démolir ses maisons par les étudiants (nous avons rencontré l'un de ces étudiants survivants), n'était jamais la cible des bombardements. Et voilà, le 8 août qui arrive. Un avion passe haut dans le ciel, lâche LA bombe qui explose à presque 600 mètres d'altitude juste au dessus d'un hôpital. Une lumière blanche intense, un silence, puis un souffle d'une violence extrême et brûlant de plusieurs milliers de degrés tombant d'abord à la verticale puis, se propageant de tous les cotés, détruisant, brûlant, tuant et irradiant tout sur son passage. Au point zéro et à proximité, aucun survivant. Dans un rayon de deux kilomètres, tout est détruit, tout est en feu. Un gigantesque champignon de fumé s'élève dans le ciel. Des gens meurent debout avec des lambeaux de peau brûlée qui pendent de ce qui reste de leur corps. D'autres sont en flammes et courent se jeter dans une rivière déjà pleine de cadavres. Un peu plus tard, une pluie de cendres noires se met à tomber. Il fait froid, très froid, c'est l'hiver nucléaire. Dans le même temps, les bâtiments continuent de brûler. Les survivants, tous irradiés, sont assoiffés et cherchent de l'eau. Misu, misu, misu, (de l'eau, de l'eau, de l'eau...). Ceux qui trouvent de quoi boire s'irradient un peu plus, suffisamment pour mourir plus vite. Proche du point zéro, il y a un cimetière et certaines pierres tombales sont d'époque. Elles sont en granit et ont été fendues cassées où littéralement rongées par le souffle incandescent. Dans la campagne environnante, on a vu l'explosion. Les gens accourent et cherchent parmi les blessés et les cadavres, leurs parents ou leurs enfants. Parfois, ils les reconnaissent, juste par le son de leurs gémissements, par les restes de tissus collés à leur peau ou par leurs objets (chaussures, montres, sacs,...). Ils les transportent alors en dehors des ruines et assistent impuissants aux dernières heures de leur proche. Dans les jours suivants, on finit d'éteindre l'incendie. On se partage des cendres des défunts. On essaye de soigner ces nouvelles et très étranges voir horribles maladies. On apprend de nouveaux mots comme irradié, radioactivité. On creuse des trous partout et on enterre tous ces morts. Il faut aussi nettoyer la rivière qui est en putréfaction. Des scientifiques américains viennent prendre quelques photos et mesurent l'ampleur de l'explosion, puis s'en retournent dans leur grand pays qui devient de manière incontestable, la première puissance mondiale et le modèle de société idéal. Au lieu de servir d'exemple à ne pas suivre, les dirigeants du monde entier rêvent de cette formidable capacité de répandre la mort à grande échelle. Dans le mémorial, au milieu de toute cette histoire horrible, des documents secret défense américains montrent avec quelle froideur, les américains ont préparé la bombe. Une lettre d'Einstein au président américain, informe ce dernier que la bombe est presque prête. Einstein, malgré son intelligence, met son génial cerveau au service du pire. Pendant ce temps, les militaires bons chrétiens états-uniens choisissent le meilleur endroit pour tester leur diablerie. D'abord, il y a le choix du pays. Pourquoi pas l'Allemagne ? Et puis finalement, le Japon étant appauvri, sans alliés et sans amis, on peut le dégommer en étant certain qu'il ne pourra pas se protéger ni riposter. Après le choix du pays, il y a le choix de la ville. Kyoto ? Kobé ? Osaka ? Nagasaki ? Yokohama ? Hiroshima ? Kawasaki ? Quel ville détruire? Kyoto pourrait être choisie mais c'est l'ancienne capitale et il y a plein de vieux temples, ce serait dommage de détruire un site touristique. Après tout, les japonais ont déjà perdu la guerre et cette bombe n'est qu'un test. Finalement, Hiroshima est le meilleur endroit. Une ville jeune, dynamique, très peuplée, entourée de montagnes, facile à atteindre en avion. A Nagasaki aussi, on prévoit une surprise. Une bombe atomique avec une composition d'éléments radioactifs un peu différents.

    Cette bombe atomique a coûté cher aux contribuables américains. C'est pourquoi il fallait montrer que leur argent n'était pas utilisé en vain. Et puis dans la course à la connerie, le géant russe galope aussi en tête de peloton. Quand on veut mener l'humanité à sa perte, il faut être le premier n'est ce pas ?! C 'est le début de la guerre froide !

    Hiroshima a changé le monde. Le 8 août 1945, L'espèce humaine venait de se montrer la plus indigne des créatures terrestres. Depuis cette date, les dirigeants de tous pays ont continué de s'enfoncer dans la stupidité, en se menaçant les uns les autres avec des armes nucléaires toujours plus nombreuses et puissantes. Une espèce de folie qui conduit une poignée d'irresponsables à prendre en otage le reste de l'humanité (si on m'touche, j'fais tout péter !!!).

    Heureusement, ces fous sont minoritaires et de plus en plus de simples gens se rebellent face à cette intolérable menace. Au milieu de toute cette barbarie, les pacifistes font de plus en plus entendre leurs voix. Par exemple, le maire d'Hiroshima est à l'origine d'un mouvement mondial appelé : ''Les maires pour la paix''. Partout dans le monde, des maires de plus en plus nombreux s'engagent à travailler pour le désarmement nucléaire total avant 2020. Par le biais d'actions de protestation, de réunions, de pétitions, de lettres ouvertes, d'information de la population, et d'exemple en matière de respect des droits de l'Homme et de l'environnement, ces milliers de maires travaillent pour la restauration de la paix dans le monde. Voici selon nous, qui repartons très secoués d'Hiroshima, ce à quoi tout le monde devrait travailler au quotidien. Apprendre à faire la paix, apprendre à être en paix et apprendre à propager la paix.
    Nos amis espérantistes d'Hiroshima sont de jeunes retraités vivant avec peu de moyens. Mais au lieu de travailler comme doivent le faire de plus en plus de retraités, ils sont guides bénévoles de l'histoire d'Hiroshima et de la bombe.
    Le coeur encore tout retourné et plus pacifistes que jamais, nous repartons sur les vélos pour Fukuyama, Okayama, Kobé, et un dernier détour par Kyoto avant de rentrer à Osaka chez Arisa et finir ce beau périple au Japon.

     


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  • Du 6 au 12 novembre (350 km)

    Notre traversée de l'île de Shikoku restera sans doute l'un des plus beaux moments de notre périple au Japon. Tout d'abord parce que nous avons souvent eu la possibilité de suivre des petites routes avec peu de trafic. Ensuite, parce que la tranquillité mêlée à la beauté des paysages d'automne et à la gentillesse des gens est à peu près tout ce qui peut rendre notre voyage heureux. Notre seul regret aura été de ne pas pouvoir rencontrer le professeur, philosophe et paysan  Manasobu Fukuoka, décédé au début de notre voyage. Nous vous invitons donc à prendre connaissance des ouvrages de ce grand homme qui a inventé et développé avec succès des méthodes culturales à la fois productives et respectueuses de la terre.

    Notre premier plaisir à peine débarqués sur l'île, vient d'une boulangerie. Par miracle nous trouvons du pain délicieux et des brioches pour le petit déjeuner, de quoi bien commencer la journée. Le marathon de la veille et la courte nuit sur le bateau nous incite à nous coucher de bonne heure. Nous consacrons donc toute notre fin de journée à la recherche du meilleur endroit pour camper. Il nous faudrait des toilettes à proximité, une vue splendide, une exposition à l'est pour que le soleil du matin nous lève et sèche la tente, bien sûr, des tables et des bancs, et surtout pas de voitures à proximité. Notre quête nous conduit dans un parc sur une petite montagne. Après une ascension très fatigante sur une route étroite et sinueuse, nous atteignons un beau parc tranquille d'où la vue panoramique sur la ville en contre bas nous jouera des tours. Car si nous passons une bonne soirée seuls, pendant la nuit sous les étoiles, cet endroit élevé devient le rendez-vous des amoureux. Les couples défilent sans cesse autour de notre tente pour contempler la vallée et l'éclairage de la ville qui se mêle au loin avec les étoiles. Bien sur, les filles qui sortent du restaurant rigolent facilement après avoir bu deux ou trois verres de saké et font taper leurs talons aiguilles sur les pavés. Parfois, en voyant notre tente, les couples s'auto-incitent à se taire et font de grands ''CHHUUUTT''. Après les sorties de restaurants, ce sont les départs en discothèque puis les retours. En clair, le défilé dure toute la nuit. Heureusement, pour les bivouacs suivants, nous sommes plus chanceux.

    En nous voyant sur nos vélos, les gens doivent nous prendre vraiment pour des malheureux, car plusieurs fois par jour, on nous donnent des biscuits, des bonbons, des pâtisseries... Les gens s'arrêtent même dans des magasins puis, nous rattrapent avec leur voiture pour nous arrêter et nous offrir ces présents. Sommes nous si maigres ? Nous finissons par comprendre ce qui nous arrive, Shikoku est très célèbre pour ses pèlerins et il est toujours bon et valorisable auprès du tout puissant d'offrir de la nourriture au pauvre pèlerin (surtout quand ils sont sur des vélos "d'handicapés"). L'île possède 88 temples (88 = chiffre porte bonheur) et il est dit qu'un pèlerinage autour de tous ces temples peut vous ouvrir à coup sûr les portes du paradis. Aujourd'hui, même si ces croyances persistent chez certains, de plus en plus de gens utilisent ce prétexte pour s'offrir une grande randonnée sur une très belle île. On pourrait parler de St Jacques de Compostelle à la japonaise. Le grand avantage d'être sur un chemin de pèlerinage en plus de la générosité des gens, c'est que l'on peut dormir partout, les policiers ne viennent pas nous virer. Généralement, nous dormons à proximité des aires de repos. Ce sont des endroits très pratiques car on peut y acheter des produits régionaux et on peut également prendre des douches chaudes dans les toilettes pour handicapés. Il y a aussi les tables, l'électricité, les endroits chauffés et l'eau bouillante à volonté. Bref, le luxe voire même le paradis lorsque l'on rajoute les cadeaux que nous donnent les employés après leur journée de travail. Une nuit, nous dormons sur une pelouse bien tondue de l'autre coté d'une aire de repos, en contrebas d'une digue. Au petit matin, nous sommes réveillés par des gens qui marchent et puis de temps à autre, nous entendons des POC ! ...POC ! ...CLAC ! Oups, nous avons dormi sur un terrain de golf.

    Le temps se détériore petit à petit. Il fait de plus en plus gris et froid. Parfois nous préférons carrément manger dans des petits restaurants qui s'avèrent être vraiment très bons marchés et délicieux. Perdus dans des petits villages de campagne, il faut parfois être très observateur pour découvrir ces petits établissements où nous pouvons nous régaler et nous réchauffer avec la spécialité locale : les oudons, (soupes de grosses nouilles fraîches). Finalement le temps se gâte et la pluie fait son apparition. Évidemment, c'est toujours dans ces moments là que nous ne trouvons pas d'endroits convenables pour passer la nuit. La fatigue, le froid et l'humidité étant favorables aux microbes, nous décidons un soir de nous faire plaisir. Après avoir demandé à quelques personnes, nous trouvons un splendide onsen où pour 5 euros chacun, nous pouvons nous relaxer et nous réchauffer dans une eau très chaude et thérapeutique. Quand nous ressortons du bain, il fait nuit noire. Nous demandons aux dames du onsen si elles ne connaissent pas un endroit abrité pour que l'on puisse planter notre tente qui prend l'eau. Finalement, l'une d'entre elles nous rapporte des bouteilles d'eau potable sulfureuse en nous expliquant que c'est bon pour notre corps, puis elle nous invite à suivre sa voiture jusque sous un pont où les gens du village réunis en petite coopérative agricole entreposent la paille de riz. Bien à l'abri du vent et de l'humidité, c'est un endroit idéal. Il y a même une petite cabane avec des toilettes, une cuisine et de la lumière. Nous nous offrons une bonne nuit de repos avant de repartir pour la journée probablement la plus humide du voyage.
    Une pluie froide et continue s'abat sur nous, alors que c'est une étape pleine de montées. A 5 km/h nous nous laissons progressivement envahir par cette eau qui s'infiltre par les manches, le col et les fermetures. Un bref répit nous est offert le midi dans un restaurant. Les cuisinières prennent pitié et nous offrent des plats chauds, du thé et la possibilité de nous sécher près des braises qui servent à griller les poissons. Au bout d'une heure et demie de séchage, nous repartons, toujours sous l'eau. Les gens nous disent que demain, c'est le même vilain temps. Au bout de 70 km nous trouvons une aire de repos. Le magasin vient de fermer, il ne nous reste que les toilettes et pour une fois, pas de douches chaudes ni de sèche-mains. Un autre pèlerin cycliste s'est réfugié ici, pour une nuit. Nous faisons connaissance et nous installons nos tentes sous l'abri de la place de parking pour handicapés. Malheureusement pour nous, pendant la nuit, le vent tourne, il tombe de violentes averses et il y a même du tonnerre. Résultat, au petit matin, notre tente est une piscine et tout, absolument tout est mouillé. Rien ne sèche et le temps est toujours à la pluie. Nous décidons de rester une journée supplémentaire et de déplacer le campement de l'autre coté de la route sous l'appentis d'une maison abandonnée au pied d'une falaise. Nous entamons le séchage de nos affaires et pour nous réchauffer, nous passons toute la journée sur les tatamis du salon de thé de l'aire de repos. Parfois il faut savoir s'arrêter. Le lendemain, le soleil est revenu, il fait un temps magnifique et bon pédaler. Nous venons de traverser d'est en ouest l'île de Shikoku. Un dernier col à près de 800 mètres puis une énorme descente de 15 kilomètres qui nous conduit à la mer pour prendre un bateau et retourner à Onshu sur la route d'Hiroshima.

    Nous avons deux heures de traversée et lorsque nous débarquons à Yanaï à proximité du projet de centrale nucléaire, le soleil se couche. Jamais facile de trouver un bon endroit où dormir lorsqu'il fait nuit et que nous sommes en ville. Après un dîner dans une grande surface, installés sur des tables en plastiques dans le coin pachinko pour enfants, nous demandons aux employés s'ils connaissent un parc tranquille pour camper. Nous aurions mieux fait de ne rien demander car les voilà partis à chercher des plans de cadastre pour nous montrer exactement où se situe le camping. Nous ne comprenons pas grand chose à leurs indications, simplement il nous semble avoir repéré un parc dans le centre ville. Comme le ciel se couvre à nouveau et que la météo annonce le retour de la pluie, après avoir longuement hésité, nous nous installons confortablement dans les grands toilettes handicapés du parc. Le gardien nous a repéré mais il nous laisse tranquille et heureusement car la pluie tombe toute la nuit. Demain, une longue journée nous attend. Nous allons à Hiroshima.

     


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  • Du 1er au 5 novembre 2009 (208 km)

    C'est avec grand peine que nous quittons Tsuneaki. Nous réalisons, que nous aurions dû partir le lendemain car aujourd'hui c'est dimanche. Sur les petites routes de campagne, beaucoup de japonais brûlent du pétrole pour le simple plaisir d'user les pneus de leur voiture ou moto. Le niveau de notre moral est déjà au plus bas et comme si cela ne suffisait pas, les chaînes de nos vélos se cassent l'une après l'autre. Le ciel se couvre d'épais nuages accélérant ainsi la tombée du jour. Nous atteignons une vaste zone industrielle au nord de Tokyo où nous ne parvenons pas à trouver un endroit convenable pour camper. Les lampadaires commencent à éclairer la route en même temps que la pluie se met à tomber. Finalement, nous trouvons refuge sous un petit kiosque en bois au bord du parking d'une grande salle de spectacle. Notre tente n'étant plus du tout étanche, nous sommes contraints de trouver de quoi nous protéger de la pluie.

    Vers 22h00, alors que nous sommes complètement épuisés par cette première journée de vélo depuis l'accident il y a près d'un mois, un homme vient nous parler à travers la toile de tente. Nous ne comprenons pas grand chose, surtout qu'il nous tire de notre premier sommeil. Avant que nous soyons habillés, l'inconnu est déjà parti et nous laisse tranquille. 20 minutes plus tard, il revient accompagné d'une voiture de police. Les phares de la voiture à quelques mètres de nous sont braquées sur notre tente. Nous n'avons pas le choix, il faut nous lever rapidement et sortir « les mains en l'air ». L'homme qui a appelé les forces de l'ordre n'est autre que le gardien de parking. Les 4 policiers, venus en renfort, nous expliquent que : ''Tento damé!''. Nous n'avons pas le choix, quand quelque chose est ''damé'', c'est indiscutable, il faut partir. Toutefois, nous essayons d'entamer des négociations. Comme nous sommes des étrangers, nous leur expliquons tout avec l'espoir qu'ils soient compréhensifs; Les passeports bourrés de visas, nous venons de France, à vélo,il pleut, notre tente prend l'eau, il est tard, nous sommes très fatigués et nous partons demain de bonne heure pour Tokyo.

     

    Les policiers sont épatants. Comme ils ne sont pas en mesure de faire exception à la loi, ils essayent de la faire changer en repassant ce dossier épineux dans les mains du gardien et en lui faisant comprendre qu'il serait bien de nous laisser tranquille. Ce dernier se retrouve avec un cas de conscience qu'il ne pourra pas se pardonner s'il renvoie sous la pluie ces deux voyageurs tremblotants venus du bout du monde. Il décide donc d'appeler son directeur malgré l'heure tardive pour demander une dérogation express en notre faveur. 5 minutes plus tard il revient et parle aux policiers. Apparemment un compromis à été trouvé. Nous avons le droit de dormir ici sous conditions : nous devons partir demain matin, alcool ''damé'', drogue ''damé'', ''gomi'' (déchets) ''damé''. Avant de partir, les policiers nous demandent à quelle heure nous nous réveillerons. Oyasumi nasaï (bonne nuit), il est 23h00!
    Au petit matin, 7h00, à l'heure dite, les mêmes policiers viennent nous réveiller et nous souhaitent bonne route avant d'aller eux même se coucher. Il ne pleut plus mais le ciel, encore gris et triste nous promet de belles averses. C'est une journée vraiment galère. Un vrai parcours du combattant. La route mouillée est super dangereuse et grouillante de camions. Les pistes cyclables se terminent brusquement dans des champs, ou sur des berges de rivières, ou encore au pied de voies ferrées sans passage à niveau. Nous n'avons d'autre choix que de prendre les grands ponts interdits aux vélos. En début d'après-midi, il se met à pleuvoir. Nous cherchons un endroit au sec pour manger. Au milieu des industries fraîchement abandonnées à cause de la crise, nous trouvons un Pachinko ouvert. Les Pachinkos sont des genres de salles de jeux où les gens jouent avec des machines à sous pour le seul plaisir de perdre de l'argent. Les Pachinkos sont souvent la propriété de yakouzas qui se servent de ces établissements pour blanchir l'argent de trafics divers. Dans le cas présent, nous entrons dans une immense salle pleine à craquer de jeux bruyants et lumineux. Quelle cacophonie ! Nous faisons un petit tour à l'intérieur mais nous ne voyons personne. C'est un Pachinko fantôme. Sous l'oeil des caméras, nous décidons de sortir le casse-croûte et nous nous installons bien au chaud sur une table de camping et deux chaises de jardin au milieu des machines? Dehors la pluie nous attend bien sagement. Elle a décidé de nous accompagner pour le reste de la journée.

    En soirée nous atteignons le nord de Tokyo. Sur des kilomètres et des kilomètres, que des magasins de bagnoles de chaque coté du boulevard. Une fois de plus, trouver un bon endroit où dormir va être une épreuve. En début de nuit, nous trouvons un beau parc arboré, ouvert. Nous allons y faire un tour et nous trouvons un endroit pas mal, abrité, à proximité des toilettes. Nous n'avons que le temps d'aller dans une épicerie acheter de quoi manger, lorsque nous revenons, un sans-abri s'est installé. Cette fois-ci, nous n'avons plus le choix. Sous la protection très sommaire d'un pin sylvestre nous installons notre tente qui instantanément prend l'eau aussi bien par le toit que par le tapis de sol. Au petit matin, vers 6h00, nous sommes réveillés par le gardien qui nous rappelle que ''tento damé''. Il nous demande de partir jusqu'à ce que nous ouvrions la porte et qu'il découvre le parapluie déployé à l'intérieur de la tente. Le voilà parti à rire d'un rire fou ! Il balbutie quelques mots qui doivent vouloir dire:''Allez donc vous sécher maintenant. c'est une belle journée aujourd'hui. Prenez votre temps, je ne vous embêterai plus''.

    Nous prenons le petit déjeuner sous le regard des gens qui promènent leur chiens où ceux qui commencent leur journée par une séance de Taï Shi ou de gym tonique en musique. Une fois secs et réchauffés, le matériel rangé et les vélos chargés, nous pouvons nous jeter enfin dans la gueule de la capitale japonaise.

    Cédric : ''En fait, le problème de stabilité ne venait pas de mon nouveau vélo, mais de moi. Je devais être stressé par la reprise du vélo. Maintenant que je suis plus détendu, je prends plaisir à circuler sur les trottoirs et à gérer mes trajectoires de manière précise. Mon nouveau vélo est agréable à conduire. Une fois dans le centre de Tokyo, je me rends compte que cela fait quelques temps que j'ai froid à l'entre-jambes. Arrêté à un feu, au milieu d'une foule de piétons, je regarde en bas et constate que mon pantalon est bien déchiré, laissant apparaître mes dessous usés. LA HONTE ! Je tire sur mon tee-shirt jusqu'au prochain « Convenient Store » où je m'empresse d'aller me changer dans les toilettes. Cette fois-ci, mon pantalon tant et tant de fois reprisé par Alice a définitivement rendu l'âme, après un an et demi d'utilisation quotidienne.''

    Le soir nous, arrivons chez Daishin, un jeune espérantiste de notre âge qui vie au Sud de Tokyo dans un tout petit appartement, guère plus grand qu'une caravane.Nous décidons de rester le moins de temps possible dans cette jungle urbaine, préférant de loin, pédaler sur des petites routes de campagne qui sentent bon l'automne. En premier, nous nous attaquons aux visas chinois. Après quelques bons moments de galères dans le métro, nous atteignons l'ambassade chinoise. Tokyo, c'est une caricature de société bureaucrate. Nous évoluons au milieu d'une foule de gens équipés de costard cravate noir, téléphone portable et porte document, chemise blanche, pantalon trop court, petite chaussures en cuir brillantes, boissons énergétiques, complément alimentaires et médicaments anti -stress, anti-brûlures d'estomac, anti-fatigue, etc... Bref, une société moderne basée sur la compétition, l'apparence et où tout le monde rêve d'avoir sa place, sauf nous. Devant l'ambassade de Chine, toute une armée de soldats prêts à livrer bataille. Nous constatons bien vite que tous ces renforts militaires sont présents pour contenir en cas de débordement, une permanence de 3 manifestants pacifiques tenant une banderole réclamant la libération de prisonniers politiques au pays de Mao.
    Dans l'ambassade, on nous promet des visas en une semaine ou en 24 heures si nous sommes prêts à payer le prix fort. Une fois n'est pas coutume, nous choisissons l'option rapide.

    L'après- midi, nous rencontrons une association d'information sur le nucléaire au Japon. Bien que nous passions à l'improviste, nous sommes super bien reçus par Phillip, un australien habitant le Japon depuis un bout de temps. Autour d'une tasse de thé et de biscuits biologiques, nous discutons d'écologie et bien sûr de nucléaire. Cette association représente le Japon pacifique et s'oppose au nucléaire en informant le plus largement possible les citoyens. Il faut savoir que le cauchemar des bombes d'Hiroshima et de Nagasaki ont rendu profondément pacifique, une très large majorité de japonais. Malgré tout, le gouvernement, comme dans à peu près tous les pays que nous avons traversés, est en totale opposition avec la volonté du peuple. Les hommes politiques essaient de faire entrer de force dans la tête des gens que le nucléaire civile peut-être bon et sans danger. Cette association a donc pour devoir de rappeler quelques vérités, entre autres, que le nucléaire partout dans le monde, à un moment ou un autre, est relié aux militaires; que le nucléaire n'est toujours pas propre et qu'on a toujours pas de solution pour les déchets; que l'extraction d'uranium non plus n'est pas propre et est loin de respecter les droits de l'homme; que les nombreux accidents, séismes ou même les menaces terroristes dont il fait l'objet ne permettent pas de classer le nucléaire parmi les énergies sans danger.

    Phillip nous explique que les japonais, culturellement, se rebellent très rarement contre des décisions du gouvernement. Toutefois, en ce moment même, 80 km au sud ouest d'Hiroshima, un projet de nouvelle centrale nucléaire a mis les citoyens en colère. Ce projet devrait bétonner un littoral magnifique d'une extrême diversité biologique. Que ce soit au niveau des oiseaux, reptiles, poissons, coquillages, paysage, économique et social, ce projet est une véritable aberration et les habitants d'ordinaires si sages, se révoltent. Les pêcheurs traditionnels qui sont en passe de perdre leur travail, leur maison, leur histoire et leur nature, manifestent tous les jours ! Ils sont en permanence en mer, sur leurs petits bateaux et veillent à ce que tout le monde sache ce que le gouvernement s'apprête à détruire ici.

    De retour à la maison après avoir flâné dans les parcs et le long de grandes avenues bordées de tours modernes pleines de magasins chics et moches, nous organisons une soirée crêpes sans Daishin car malheureusement, celui-ci travaille beaucoup trop et rentre bien trop tard.

    Le lendemain, c'est une journée marathon. Daishin a téléphoné au port et un bateau (LE bateau hebdomadaire) part ce soir pour l'île de Shikoku. Nous devons traverser la ville pour aller récupérer nos visas chinois. La permanence des 3 chinois manifestant devant l'ambassade est toujours là. Les militaires aussi. Nous avons juste le temps de nous arrêter dans un bistrot qui vend des hamburgers végétariens et biologiques, puis de faire quelques courses dans un petit magasin de produits bio hors de prix. De retour chez Daishin assez tard car nous avons pris le mauvais train qui ne s'arrêtait pas à notre station, nous bouclons nos sacoches rapidement et partons vers le fameux port. En réalité, nous sommes presque à coté, mais le pont qui peut nous emmener sur la presqu'île est interdit aux vélos. Nous sommes obligés de faire un détour qui nous rallonge de 15 kilomètres. Le bateau lève l'ancre à 19h30. Il nous reste moins d'une heure trente pour trouver le port et acheter nos billets.

    Sans savoir comment, nous nous retrouvons sur des routes aériennes pleines de camions alors que la nuit tombe. Nous crions de peur ; niveau de stress maximal ! Plus nous approchons, plus il y a de gros camions transportant des conteneurs et qui doivent eux aussi, embarquer. Près de ces ports industriels, la route est défoncée et même pas éclairée. Nous venons de courir toute la journée et la course n'est pas terminée. Quand enfin nous apercevons un bateau qui ressemble à un ferry, nous cherchons à le rejoindre mais entre lui et nous, des centaines de camions en attente qui manœuvrent et roulent dans tous les sens. Un peu plus loin, dans un gros bâtiment, des lumières sont allumées. Il y a peut-être quelqu'un à l'intérieur à qui nous pourrions demander. Nous faisons le tour jusqu'à ce que l'on trouve la porte. Par chance, un jeune homme parle parfaitement anglais. Il est jardinier et retourne chez lui à Shikoku après avoir travaillé à Londres dans des jardins anglais. Il nous aide à acheter nos billets et embarque sur le même bateau. Nous sommes juste à l'heure. OUFFF !!! Dans une cabine sans hublot, nous dormons du sommeil du juste bercés par la mer avec un réveil toutefois très matinal à 5h00 pour contempler le soleil levant. Spectacle grandiose où le soleil rouge semble s'arracher à la mer. On dirait la naissance d'un astre.

     


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