• Du 23 au 31 octobre 2009

    Arrivés au crépuscule dans le village de Tsuneaki, nous nous retrouvons plongés dans le Japon rural et montagneux, mystérieux aussi. Au premier regard, nous ne reconnaissons pas notre ami. D'abord parce qu'il n'a plus ses cheveux longs avec sa couette de samouraï et qu'il a aussi rasé sa barbiche de jamaïcain, ensuite parce qu'il est au volant d'une voiture, nous qui l'avions connu seulement chevauchant son vélo trop chargé. Ces retrouvailles nous mettent tous d'une humeur joyeuse infatigable, un peu comme si un pari fou venait de se réaliser. Quelque chose dit autour d'une bière allemande, sur le ton de la rigolade, du genre : « Chiche, on se donne rendez vous chez toi au Japon, à vélo, pour boire un coup ! ». Et voilà chose faite. Nous y sommes. Nous pouvons enfin voir concrètement d'où venait ce grand voyageur qui dormait toujours avec sa machette offerte par des guerriers éthiopiens et sa grosse peluche de gorille offerte par des Argentins. Nous rencontrons les parents de Tsuneaki qui tiennent l'épicerie du village et continuent de résister au rouleau compresseur des grandes chaînes américaines de Monsieur W. Mart. Ils nous mettent tout de suite au parfum. ''Vous êtes ici chez vous et nous vous considérons comme nos enfants. Vous pouvez dormir autant que vous voulez, manger ce qui vous fait plaisir, vous n'avez qu'à vous servir dans le magasin''.

    Après son incroyable épopée, hors du temps et des sentiers battus, Tsuneaki a retrouvé du travail dans le tourisme de sa région. Il est devenu guide et fait tout pour que les gens prennent conscience de la beauté de la région. A plusieurs reprises nous l'accompagnons avec des groupes de touristes. Nous avons la chance de pénétrer dans une immense grotte dont la beauté est malheureusement gâchée par des projecteurs multicolores et des hauts parleurs déguisés en pierre qui diffusent de l'information et des excuses, et des bonjours, bienvenu, merci beaucoup, à la prochaine, bon retour, soyez prudent sur la route, etc. Cette cacophonie nous tape vite sur les nerfs alors nous essayons de repérer les détecteurs de présence et nous réalisons quelques acrobaties pour passer sans les déclencher.
    Tsuneaki n'aime pas ces hauts parleurs et ces lumières. Il n'aime pas non plus le pont suspendu qui mène à la grotte et fait des lâchés de milliers de bulles de savons plusieurs fois par jours.

    Un autre jour, nous allons faire une ballade magnifique dans les montagnes entourant le village de Ueno. Nous marchons dans des forêts de hêtres et de cèdres sur des sentiers étroits et pentus empruntés il n'y a pas si longtemps par les habitants d'un village situé au sommet de cette petite montagne. Vers midi, nous atteignons un temple abandonné à coté duquel trône majestueusement un grand if. Quelques centaines de mètres plus loin, le village en question. Les maisons sont toujours là et les meubles, les objets, les photos, n'ont bougé que par la force des typhons, qui ont fini par briser les vitres et les cloisons de papier de certaines habitations. Nous avons vraiment le sentiment de traverser un village fantôme tout droit sortie d'un film de Myasaki.

    Cédric : ''Heureusement que Tsuné est bavard et que les pauses sont nombreuses. Je me rends compte que je suis loin d'avoir récupéré toutes mes forces après l'accident et j'ai un mal fou à suivre le groupe. En fin de journée, nous avons droit à un bon bain dans un onsen juste à coté de belles chutes d'eau. Le soir, exténué, propre et détendu, pas besoin de berceuse. Je m'endors aussitôt le futon déroulé sur les tatamis.''

    Dans le village de Ueno, nous assistons stupéfaits et émerveillés à un changement de société. Le grand changement qui devrait suivre la soit-disante prise de conscience générale dont tout le monde parle tant mais dont personne ou presque ne change ses comportements. Il y a dans ce coin du Japon des gens qui n'ont pas vu ce dont nous avons été témoins au cours de ce voyage, la pollution des grandes villes, les déchets de la société de consommation, la destruction de la planète à tous les niveaux, les dégâts immenses de l'agriculture et de l'élevage intensifs. Et pourtant, à Ueno, de nombreuses maisons sont habitées par des gens du cru comme Tsuneaki ou par des néo-ruraux de plus en plus nombreux, déterminés et combatifs pour redémarrer la vie à la campagne. Tous les soirs nous sommes invités dans des maisons où nous rencontrons des gens formidables qui semblent avoir compris beaucoup de choses et se donnent les moyens de réaliser leur rêve. Que ce soit chez Mickaël, originaire des Etats-unis, chez Kasu ou chez les amis potiers, les enfants grandissent dans des maisons traditionnelles où toutes les sources de pollutions sont réduites au maximum. Les tatamis sont fabriqués avec de la paille biologique. Les jouets sont en bois local et non traité. La nourriture est biologique et locale au maximum. Les WC fonctionnent avec la sciure de bois de la scierie du village. Bien sûr dans ces maisons, vous ne trouverez pas de mobilier neuf en aggloméré, ni de casseroles recouvertes de téflon. Par contre vous y trouverez des gens chaleureux, généreux, d'une extrême gentillesse et surtout des enfants heureux et épanouis.
    Tsuneaki nous explique qu'il y a une réelle volonté de développer ce coin perdu du Japon. Il nous montre ce qui pour lui est une mauvaise voie : les logements communaux pour néo-ruraux construits sur le modèle citadin. D'après Tsuné, c'est exactement ce qu'il ne faut pas faire car les gens viennent avant tout pour vivre à la campagne et prendre part à la vie locale. Il vaut mieux en priorité, développer les liens sociaux, les relations entre les habitants et bien sur la culture qui permet de s'ouvrir au monde.

    Le 29 octobre enfin, le nouveau vélo arrive. Au début, il est difficile d'imaginer que la boîte en carton contient vraiment un vélo couché. Sacré travail de montage en perspective ! A peine, les morceaux sortis du carton que nous entamons le démontage complet du vélo accidenté pour réexpédier ce dernier vers la France. Tsuneaki qui travaille comme un fou et qui préférerait sans doute passer plus de temps avec sa petite amie Miho, consacre sa seule journée de repos hebdomadaire avec nous pour ce laborieux travail de désossage et ce véritable casse-tête consistant à remettre le vieux vélo dans un carton taillé aux dimensions maximales acceptées pour un colis postal. Il faudra un sacré courage aux membres de l'association ''Portrait de planète'' pour remonter tout le vélo et notamment la totalité des rayons des deux roues.

    Le montage du nouveau vélo n'est pas non plus une partie de plaisir. Tsuneaki est équipé à peine plus qu'un voyageur. Nous devons emprunter la perceuse d'un voisin et quelques outils dans une autre maison.

    Cédric ''Les premiers tours de roues sont laborieux. Je ne sais pas si cela vient de moi ou de cette nouvelle version du Seiran Voyager avec son porte bagage plus haut et plus en arrière et son siège inclinable, mais je n'y arrive pas. Je zigzague sans arrêt et en descente je suis presque obligé de mettre pied à terre. Nous voilà bien si je ne suis plus capable de faire du vélo! Pourtant la veille, avant de démonter mon vieux vélo et lui dire au revoir, j'avais réussi à faire quelques petits tours dans la cour pendant que Alice promenait Chipie, l'adorable petite chienne de Tsunéaki.''

    Au bout de neufs jours de récupération, avec des bains dans le onsen, des repas bio chez les amis et la découverte de la vie rurale japonaise, nous sommes prêts à affronter de nouveau le trafic routier et nous diriger à Tokyo où nous attend la désagréable corvée des demandes de visas chinois.

    Les amis du village viennent tous les uns après les autres pour nous dire au revoir. Ils alourdissent nos sacoches de nourriture, de fruits secs biologiques et de remèdes traditionnels à base de plantes. Nous sommes tellement heureux d'avoir pu revoir Tsunéaki chez lui. Nous réalisons que la maladie du voyage, ou plus exactement le besoin de voir le monde réel en dehors des mirages touristiques, peut frapper n'importe qui, n'importe où. Que ce soit au fin fond de la montagne japonaise, dans le Nord de la Creuse ou dans le bronx de New York city, des voyageurs naissent.

     


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  • Du 03 au 22 octobre 2009 (45km)

    Sortir de Kanazawa n'est pas une mince affaire. Nous passons d'abord dans des tunnels sans aucun espace pour les piétons. Coincés entre le mur et les automobilistes kamikazes, nous serrons des fesses pour revoir la lumière du jour sain set saufs. Le front encore trempé de peur, nous nous retrouvons sur d'immenses échangeurs. Nous pédalons sur ces grandes boucles aériennes, en serrant des fesses pour que les camions rutilants nous laissent sortir de là vivant. Après cette bonne dose de stress, nous trouvons enfin une belle petite route, peu passante qui doit nous faire traverser une petite montagne. En pleine montée, une voiture s'arrête. Un jeune homme en sort et nous tend une bouteille de thé froid. Il nous a vu prendre cette route de montagne alors il s'est arrêté spécialement pour nous acheter une bouteille de rafraîchissement bienvenue.

    Quand nous atteignons le sommet, l'après-midi est déjà bien entamé et lorsque nous arrivons à Tonami, le soleil est comme une grosse boule orange posée sur l'horizon. Nous décidons d'appeler Kikio, notre espérantiste de Toyama pour lui signaler que nous n'arriverons que demain car nous préférons éviter de rouler de nuit. Malheureusement, la communication ne passe pas très bien, ou plutôt, nous avons du mal à nous faire comprendre. Nous décidons alors de contacter Kitagawa d'Obama car avec lui, nous n'avons aucun problème de communication. Quelques minutes plus tard, un arrangement est trouvé. Un ami de Kikio, viendra nous retrouver dans une heure au jardin des tulipes à Tonami. C'est très bien pour nous, car nous sommes à l'entrée de Tonami, à environ 8 km du lieu de rendez-vous. Nous remontons sur nos confortables fauteuils de vélo couché et nous repartons à toute allure pour finir les quelques kilomètres avant la nuit. Nous pédalons sur une piste cyclable bien séparée de la route par un alignement d'arbres. Dans notre rétroviseur, le soleil vient de disparaître derrière la petite montagne que nous venons de traverser. Le ciel est magnifiquement repeint en rose, rouge orange sur fond dégradé de bleu.

    Un carrefour à traverser. Nous pédalons à 25 km/heure, le feu tricolore est au vert pour nous et il est 17h35.

    Tout se passe alors très vite et c'est Cédric qui raconte : ''Je commence à traverser sans crainte et lorsque j'ai presque atteint le trottoir d'en face, je tombe nez à nez avec une voiture. Elle vient d'en face et tourne à droite. Le chauffeur s'est engagé probablement parce qu'il n'y avait pas de voiture, mais il ne m'a pas vu puisque j'étais sur la piste cyclable bien séparée de la route. Nous sommes face à face et tous les deux bien lancés. Impossible pour lui comme pour moi de stopper ou de tourner. La rencontre est inévitable. Tout se passe alors très vite. Les pieds en avant, je touche la carrosserie au niveau du phare avant gauche. Les plateaux de mon vélo découpent la carrosserie comme un ouvre-boîte découpe une boîte de conserve, jusqu'au milieu du capot de moteur. Mon corps doit peser alors plus d'une tonne. Je me retiens de toutes mes forces sur les pieds, tout mon corps se contracte et commence à se soulever du siège, ma roue tourne brusquement en touchant le pare-choc ce qui fait tourner le guidon et m'expulse sur le coté gauche. Je vois le ciel, la route, une haie, le ciel à nouveau et puis la route. Derrière moi, Alice hurle de toutes ses forces. Où suis-je ? Suis-je même encore vivant ? « Quel connard ! Peut pas faire attention??!! ». Je me relève en jetant un regard sur Alice derrière moi et puis je hurle sur le chauffeur. Je le vois, lui et son passager terrorisés, pliés en boule sur leur siège. Alice vient frapper la vitre et leur demande d'appeler une ambulance. Ils ne bougent pas, tétanisés. Je me sens soudain très faible. Mes jambes ne tiennent plus, je m'assieds sur le bord du caniveau et j'attends les secours. Une voiture s'est arrêtée et appelle une ambulance. On me demande si ça va. J'en sais rien du tout. J'entends Alice qui pleure au téléphone en essayant d'expliquer à Kitagawa qu'on ne sera pas au rendez-vous. Je vois mon vélo, couché sur la route. Je constate qu'il n'y a que la sacoche de nourriture qui s'est complètement décrochée. L'ambulance arrive. On m'installe dans une civière. Alice monte avec moi. Elle me tient la main et reste tout le temps à mes cotés. A l'hôpital, les urgentistes utilisent des fiches pratiques avec des dessins pour me poser des questions et savoir où j'ai mal. Comme j'ai mal un peu partout y compris à la tête, ils décident de me faire passer un examen complet. Scanner de la tête et radio de tout le corps. J'en ressors complètement irradié. Pour le scanner, on me demande de changer de lit. C'est alors que je me rends compte que je ne peux bouger. Mon corps semble peser des tonnes. J'essaye en vain de ramper sur l'autre lit. Les infirmiers sont contraints de me soulever. Très dynamiques, délicats et très polis ils n'arrêtent pas de faire des politesses. « Haï, gomen, haï dozo, alligato gozaïmass, haï » ( Désolé, je vous en prie, merci beaucoup). De retour dans le hall des urgences, trois personnes tiennent dans leurs mains le drapeau de l'Espéranto et souhaitent ''Bonvenon Alice kaj Cédric. Bienvenue Alice et Cédric.''
    Le médecin ne trouve rien d'inquiétant mais il souhaite que je reste en observation. De toute manière, je ne risque pas d'aller bien loin. Les espérantistes qui nous accueillent si chaleureusement avec un sourire un peu désolé sont Kikio et monsieur et madame Kitakawa. C'est chez ces derniers que nous devions passer la nuit. Monsieur Kitakawa est paysan bio et bien qu'il n'ait plus sont permis de conduire, il possède toujours un petit camion. C'est dans celui-ci que nous devions mettre les vélos.
    Finalement, à 20h00, on me laisse sortir de l'hôpital après qu'un infirmier m'ait fait de vilains pansements sur mes égratignures aux chevilles et à l'avant bras droit. Nous allons au poste de police où ont été transportés nos vélos. A peine arrivés, on nous demande de suivre le chef au 3ème étage sans ascenseur pour une réunion avec les automobilistes qui m'ont foncé dedans. Le jeune chauffeur de 18 ans est là avec son passager et ses parents. Avec nous, les 3 espérantistes. S'en suit alors une longue discussion dont nous ne comprenons rien ou presque. Le chef de police parle de nuit, de vélo rapide et sans lumière, de coupable ou pas coupable, de français, etc. Il prend nos passeports et les photocopie en entier. Nous ne comprenons rien et nous avons l'impression d'être jugés coupables sans avoir la possibilité de nous défendre. Pourtant il ne faisait pas encore nuit et puis nous avions les réflecteurs efficaces de nos sacoches, le feu était bien vert pour nous et nous étions sur une piste cyclable. Et puis zut ! Qui c'est qui vient de sortir de l'hôpital ? Nous sommes dans cette salle depuis plus d'une heure. Je n'ai qu'une envie, c'est de tomber dans les pommes. Alice sanglote à coté de moi. Nous demandons à comprendre ce qui se passe. C'est alors que le chef de police demande à Kikio de traduire en espéranto pour nous. Tout le monde se met à fixer Kikio qui perd complètement ses moyens et se retrouve muet comme une carpe devant le gros policier. Pour finir, Alice fond en larmes et s'en va. Daï Diu Kitakawa s'énerve (ce qui ne se fait jamais au Japon !!!) et prend notre défense. Vêtu de son kimono bleu, il n'est pas impressionné par l'uniforme et le drapeau étendu sur le mur. Nous ne savons pas ce qu'il a raconté, mais cela a mis fin à la discussion. Je vais boire au robinet dans les toilettes et la redescente des 3 étages est aussi difficile que la montée. Je n'ai plus de force et la tête tourne à 300km/h. En chargeant les vélos dans le petit camion benne, tout le monde essaie de voir ce qui est endommagé sur mon vélo. Kikio, qui se veut rassurant, me dit qu'il n'y a qu'à aligner le guidon avec la roue et hop ! Je peux repartir. Moi, je vois que la fourche avant est complètement tordue, que le porte bagage est écrasé sur la gauche et que le cadre avant est légèrement tordu aussi. Je vois le voyage fini avec un retour immédiat en France. Enfin je regarde ce vélo, avec qui j'ai eu, c'est vrai temps de soucis, mais qui m'a quand même porté jusqu'au Japon. Fatigué, cabossé et tout secoué, je monte en voiture et fini par verser mes larmes dans les bras d'Alice.

    Sur la route, c'est madame Kitakawa qui conduit. Elle conduit assez bien mais je ne peux pas m'empêcher d'avoir peur. Il est presque minuit quand nous arrivons dans leur maison et que madame Kitakawa (Yuko de son prénom) nous donne un bon repas. 12 heures sans presque rien avaler avec un accident en prime! Cette nuit, malgré la fatigue, j'ai beaucoup de mal à dormir. J'ai des douleurs partout et j'ai peur d'avoir des lésions plus graves que ce que l'on pense. Comme j'ai mal à la tête, j'ai peur d'une hémorragie interne. Alice est toujours là pour me consoler et petit à petit je me rends compte qu'elle a dû subir, elle aussi, un sacré choc émotionnel en me voyant percuter la voiture.

    Le lendemain matin, Kikio et un vieil ami espérantiste, le docteur Massen viennent me voir. Le docteur souhaite voir dans quel état je suis et pour cela, il utilise un appareil que je n'avais encore jamais vu. Pas plus gros qu'un fer à souder à l'étain, cet appareil est branché et relié à une ampoule. Le courant passe jusqu'au bout de l'appareil terminé par deux petites molettes. En frottant ces petites molettes sur la peau, un courant électrique est envoyé dans les cellules. Sur un corps sain, on ne sent rien du tout, mais moi, j'apprends tout de suite ce que ïtaï veut dire. ''Ïtaï ïtai !!!'' (J'ai mal, j'ai mal!!!).

    Dans l'après midi, le professeur Tatchimoto et son épouse viennent me rendre visite. Il y a aussi le jeune chauffeur et son père qui viennent discuter longuement sur la manière dont nous allons devoir résoudre cet accident. Nous ne comprenons rien à ce qui se dit, toutefois, madame Tatchimoto nous traduit le principal. Le jeune chauffeur et son père nous transmettent leur excuses les plus sincères et nous offrent un sac plein de pommes. Leur voiture est de toute manière bonne pour la casse. Le jeune homme devra partir travailler à vélo. Un agent de l'assurance de leur famille viendra dans les prochains jours pour évaluer le montant des réparations. Daï Diu Kitakawa va donner mon vélo à réparer dans un garage (s'il est réparable). Je dois me renseigner du prix du vélo neuf et me tenir prêt à passer la commande. Je devrais voir le docteur Massen tous les jours pour des séances de massage. Le transport et l'hébergement pour le congrès d'esperanto où nous devions nous rendre à vélo la semaine prochaine sera pris en charge également par l'assurance.

    Yuko nous prend sous son aile et veille sur nous comme sur ses propres enfants. Elle nous prépare à manger toute la journée et fait tout pour nous être agréable. Nous lui donnons quelques cours d'esperanto et tous les soirs nous l'entendons répéter le vocabulaire avec Daï Diu. Je reçois une réponse rapide de Paul, le fabriquant des vélos couchés de la marque ''Challenge'' en hollande. Il m'écrit que le vélo couché lui a aussi sauvé la vie en 1993. Il me garantit que dès qu'il reçoit ma confirmation de commande il prépare un nouveau vélo et me l'envoie dans les plus brefs délais à l'adresse souhaitée. Le quatrième jour après l'accident, je suis pris de vertiges et de nausées importantes. Yuko et Daï Diu m'emmènent voir le docteur Massen qui ne peut rien pour moi, je dois aller en urgence dans un hôpital. Problème, les services d'urgence des hôpitaux sont tous surchargés. En désespoir de cause, on m'emmène voir un vieil acuponcteur de grande renommée. Sans attendre, il m'installe sur un lit au milieu de la salle d'attente bondée de patients. Le vieux médecin prend ma tête entre ses mains et la fait tourner doucement, puis d'un coup, CRAC !!! Il me remet les os en place pour pouvoir mieux me crucifier. Couché sur le ventre, il commence sans tarder à enfoncer ses aiguilles dans mon dos. Je hurle de douleur et mords le lit surtout quand il m'enfonce une aiguille entre la nuque et l'omoplate droite. Je me retrouve complètement immobilisé. Si je bouge, ou si j'essaye de me détendre, les aiguilles me torturent de plus belle. Pendant 10 minutes, on branche des électrodes sur les aiguilles plantées dans mon dos et on me demande de rester tranquille. Avant de repartir, le vieux docteur me plante 5 petites aiguilles que je devrais garder pendant une semaine. Mes vertiges et nausées se calment un peu mais j'ai toujours l'impression d'avoir les aiguilles plantés dans mon dos (ce qui est vrai en partie). Le même soir, la météo annonce un typhon qui devrait passer sur la maison cette nuit. Nous allumons la télévision et nous voyons en rouge, la progression en temps réel du typhon et en jaune la prévision de sa trajectoire. Il va nous passer en plein dessus !!! Dehors le vent souffle de plus en plus fort. Daï Diu lui, est confiant. La maison en a vu d'autres et d'après lui, quand le typhon aura traversé les montagnes, il sera déjà un peu calmé. A une heure du matin, Alice est couchée sur le coté et souffre d'une douleur tellement aiguë dans le bas du ventre qu'elle en reste paralysée. Dehors l'ouragan teste la solidité de la maison. J'appelle les urgences mais on me répond que pendant le typhon personne ne peut se déplacer. Alice gémit pendant deux heures, jusqu'à ce qu'elle parvienne à s'allonger sur le dos et que la douleur diminue quelque peu. Au petit matin, Yuko nous conduit dans un hôpital universitaire. On fait tout une batterie de tests sur Alice mais le docteur ne voit pas grand chose. Même le test de grossesse se révèle négatif. La douleur continue en sourdine pendant plusieurs semaines. Serait-ce dû au choc émotionnel ? Du coup, tous les jours chez le docteur Massen, nous avons chacun droit à des soins particuliers.''

    Pendant la convalescence, nous nous rendons comme prévu au congrès d'espéranto. Le professeur Tatchimoto nous conduit jusqu'à Kofu où se tient le rassemblement. Nous y retrouvons beaucoup de gens et il est très agréable de pouvoir parler librement grâce à une langue facile à comprendre et à apprendre. La moyenne d'âge est suffisamment élevée. Avec 60 ans à nous deux, nous atteignons peut-être la moyenne. Nous faisons attention toutefois de ne pas tirer de conclusion hâtive en pensant que l'espéranto est un truc de vieux. Pour participer à un congrès de plusieurs jours comme celui-ci, il faut avoir du temps de disponible et suffisamment d'argent pour s'inscrire, voyager et trouver un hébergement. Malheureusement, peu de jeunes gens peuvent s'offrir ce luxe.

    Alice : ''Le premier jour du congrès, Cédric qui est complètement épuisé par l'accident va se coucher à 18h00 pour une longue nuit et un repos nécessaire de 14h00 ! Nous faisons la connaissance de beaucoup d'espérantistes japonais mais aussi coréens, allemands, chinois, taïwanais... Les invitations fusent de partout si bien que nous ne savons plus où aller lorsque viendra le moment de reprendre la route. Nous passons vraiment d'agréables moments avec tous ces gens qui en plus d'avoir une langue commune ont des idées de fond pacifiques.

    De retour à Toyama où Daï Diu, Yuko et le docteur Massen nous attendent nous constatons que l'automne s'installe pour de bon. Les Gingkos prennent une teinte dorée, pendant que les érables se repeignent en rouge intense. Nous commençons à ressortir de la maison pour aller visiter des musées avec Kikio où bien des temples et un village d'artisans sculpteurs avec la famille, les enfants et petits enfants. Nous sommes complètement immergés dans la culture nipponne et intégrés dans une famille. Petit à petit avec Yuko et Daï Diu, nous développons notre propre langage basé sur la gestuelle, le japonais, l'espéranto et l'anglais.
    Lorsque nous avons de sérieux problèmes de compréhension à cause des papiers d'assurance et d'hôpital, nous appelons le professeur Tatchimoto ou notre ami cycliste Tsuneaki. C'est d'ailleurs ce dernier qui devrait recevoir le nouveau vélo-couché.

    Pendant notre séjour à Toyama, il nous arrive bon nombre de choses extraordinaires comme cette visite d'un musée où nous nous retrouvons par hasard les dix millièmes visiteurs. Sans comprendre ce qui se passe, ni le pourquoi de cette euphorie habituellement absente chez les japonais, nous sommes photographiés, interrogés par des journalistes qui ne sont pas intéressés par nos ''exploits'' de voyageurs à vélo-couché et se contentent de nous demander pourquoi nous sommes venus visiter ce musée précisément aujourd'hui et ce que nous pensons de la peinture traditionnelle japonaise.
    Pas facile de répondre autre chose que la vérité, qu'aujourd'hui il pleut et qu'il était par conséquent plus opportun de visiter un musée de peinture qu'un jardin mais grâce au talent d'orateur de Cédric, les journalistes furent ravis que des occidentaux soient si intéressés à la culture nipponne. Toujours sous les flashes des photographes et en grande pompe, le directeur du musée nous remet une reproduction d'un tableau d'un artiste très fameux ainsi que divers petits cadeaux à nous et nos accompagnateurs.''

    Cédric : '' Le 21 octobre, je récupère mon vieux vélo avec une semaine de retard car le mécanicien qui a fabriqué la nouvelle fourche avant, a dû commander un jeu de direction neuf faute de pouvoir le reproduire. Le cadre est toujours tordu et le porte bagage mal en point. J'ai l'impression que ma brave monture s'est sacrifiée pour me sauver la vie. Je pourrais la revendre en pièces détachées mais je préfère la renvoyer en France et la garder. Ce vélo en a tellement vu. Toutes ses cicatrices et réparations ont une histoire. Le clou qui bloque le tube de pédalier vient de Hongrie chez Enike, le bout de sparadrap blanc vient de l'île de Qeshm en Iran, le siège a été refait à Ventiane au Laos lorsqu'Anne nous à rejoint, la soudure sous le siège vient du Népal, chez Sonam, l'éraflure sur la fourche arrière, c'est quand j'ai cassé ma chaîne en pleine montée avant Kuala Lampur en Malaisie et ce bout de plastique sur la poignée à cassé en Inde. Non, décidemment, ce vélo est trop chargé de souvenirs pour être jeté comme ça.

    Après avoir signé un papier autorisant Daï Diu à recevoir le remboursement de l'assurance sur son compte, il retire tout l'argent en avance et en liquide et me donne la liasse dans une enveloppe. Le prix du nouveau vélo, tous les frais de transport, taxes et factures diverses. Pour envoyer cet argent en France, les banquiers sont très prudents. Nous devons faire plusieurs établissements avant d'en trouver un qui accepte de faire le transfert sous réserve que l'on apporte des documents offrant les preuves suffisantes que nous avons obtenu cet argent honnêtement. Papiers d'hôpital, papiers d'assurance, constat de police, facture de vélo, etc... ''

    Pendant ce temps, des hommes politiques et des grands de la finance, s'amusent et détournent des milliards d'euros en toute impunité pour leur unique plaisir personnel de se sentir puissant et de se payer des places de président dans des pays soit-disant démocratiques. Si seulement tous les banquiers pouvaient être aussi exigeants, honnêtes et assidus que ceux que nous avons rencontrés au Japon...

    Nous passons une dernière soirée avec Yuko et Daï Diu. Ils nous apprennent l'art d'écrire : le Shodo. Installés sur les tatamis de la maison, une grande toile de feutre étendue par terre, nous apprenons comment préparer l'encre, comment tenir le pinceau et par où commencer l'écriture des caractères chinois compliqués. Le 22 octobre au matin, nous faisons nos adieux à notre famille japonaise. La séparation est très difficile, d'un coté comme de l'autre on oublie sa fierté et sa pudeur et on pleure. Ils ont tellement fait pour nous et ils ont tellement donné sans rien attendre en retour. C'est pour nous et pour tout le monde une leçon de générosité vraie.

    Cédric : '' Comme je ne suis toujours pas en état de pédaler et que de toute manière je n'ai pas de vélo, c'est un chauffeur personnel qui nous conduit chez Tsunéaki à Ueno Mura (le village de Ueno) en plein coeur d'Onshu, dans les montagnes entre Nagano et Tokyo. Ce chauffeur est le meilleur que nous ayons jamais vu. Il est d'une prudence exemplaire. Pas d'excès de vitesse, pas de dépassement dangereux dans les tunnels, un respect des distances de sécurité et une vigilance permanente notamment vis à vis des piétons et cyclistes. Pas de déchets par la fenêtre, une conduite douce et jamais d'énervement, bref un automobiliste digne de l'être. Notez bien que c'est un fait suffisamment rarissime dans le monde pour qu'il mérite d'être noté ainsi !''

     


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  • 02 octobre 2009

    Nous arrivons à Kanazawa en fin de matinée et nous avons une chance extraordinaire puisque au moment où nous entrons dans l'enceinte de l'université, le déluge commence et ne s'arrêtera pas avant le lendemain. En déambulant dans les bâtiments à la recherche du bureau de Tatchimoto, nous regardons les panneaux d'orientation, les noms des salles et les spécialités de quelques professeurs. Ca parle de recherche sur la génétique des plantes et animaux, biotechnologie, transgénèse, amélioration génétique, génie génétique, recherche appliquée, etc. Nous commençons à nous poser de sérieuses questions. Sommes nous tombés chez des fanatiques des OGM ? Est-ce que le professeur Tatchimoto est un fervent défenseur du monde transgénique dans lequel on veut nous imposer de survivre ? Le doute s'installe. Quel genre de personne allons nous rencontrer ? Contrairement aux autres portes, l'entrée du bureau de Tatchimoto est décorée par quelques plantes vertes et quelques courges. A lire l'étiquette, il est responsable de tout ce qui concerne la biologie du sol. La recherche sur la microfaune, le compostage, les métaux lourds, etc.

    Nous arrivons dans son bureau en fin de matinée. Le professeur nous accueille et nous offre le thé. On ne parle pas beaucoup de son travail, mais plutôt de notre voyage. Il a imprimé quelques pages de notre site internet notamment la page des liens vers les sites écolos. Comme ça, il connaît notre point de vue sur les OGM de plein champs. La question nous brûle les lèvres, nous serions heureux de débattre sur ce sujet mais nous préférons y aller doucement. Il nous présente les objets qui peuple son bureau, il y a des pierres volcaniques, des fossiles, des bouts de bois, des bogues de châtaignes, une collection d'ocarinas (son instrument favoris), des photos de lui au cours d'expéditions dans des cratères de volcans ou sur des montagnes, des poèmes japonais, quelques tableaux qu'il nous commente, et bien sûr des livres, des livres partout et des rapports d'études en veux-tu en voilà. A l'approche de midi, Tatchimoto nous invite au restaurant universitaire où il ne manque pas de nous présenter à ses collègues comme étant ''deux français écologistes venus pour sauver le monde !''. La plaisanterie faire sourire tout le monde. Après le repas, pas si mauvais que cela pour une cantine, Tactchimoto souhaite nous faire visiter le jardin de Kenrokuen, l'un des plus beau et fameux du Japon. Malheureusement pour nous, dehors le déluge continu. Quelques collègues du professeur tentent de nous rassurer en nous expliquant que le jardin est encore plus beau sous la pluie. Nous n'en doutons pas !

    Effectivement, le jardin de kenrokuen est magnifique. Quelques vieux pins sylvestres s'étalent au dessus d'un lac. Leurs vieilles branches lourdes et fragiles sont soutenues par de solides béquilles. Toute une équipe de jardiniers prend soin de ces arbres comme de personnes fragiles et leur offre une petite épilation d'épines disgracieuses avant l'hiver. Ensuite, ils installeront une sorte de gigantesque cage à oiseau en corde pour les protéger du poids de la neige hivernale. Un peu plus loin, une autre équipe de jardiniers prend soin du gazon, ou plutôt du tapis de mousse. En France, la mousse on l'empoisonne à grand coup de sulfate de fer où autre saloperie chimique, mais ici la mousse, on trouve cela beau et délicat et on lui réserve des soins 100% bio ! L'entretien et le désherbage des plantes non-invitées est assuré par des mains délicates de jardiniers attentionnés. Le fait de voir tous ces gens au service de la beauté de la nature nous émeut. Dire qu'ils sont payés pour travailler à la main dans ces jardins alors qu'ils pourraient très bien user massivement de pesticides et d'engrais chimiques comme le font la plupart des jardiniers français ! Dans le fond, ce n'est qu'un choix de société. Que voulons nous ?

    Tatchimoto nous emmène ensuite dans le salon de thé du jardin pour un instant de méditation. C'est notre première cérémonie du thé. Assis sur les tatamis, bien au sec, nous contemplons le jardin et nous nous laissons envahir par la musique de la pluie.

    Comme il nous reste un peu de temps avant le cours d'espéranto, Tachimoto nous fait traverser le parc du château de Kanazawa puis nous nous réfugions au sec dans un shopping mall. Nous nous rendons compte que ces temples de la consommation sont à peu près tous identiques. Ils vendent exactement les mêmes marques et les boutiques sont identiques que l'on soit à Dubaï, Bangkok ou Shanghai. Enfin, nous arrivons au cours d'espéranto donné par le professeur et médecin Kawanisi. Une fois de plus nous parlons du voyage et il nous donne quelques conseils pour éviter d'être malades.

    A la fin de cette longue journée, Tatchimoto nous raccompagne chez lui et nous présente à sa très gentille épouse et infirmière. Enfin nous discutons de manière plus détendue et nous découvrons que le professeur Tatchimoto est en fait comme nous ! Il est persuadé que l'agriculture intensives et les OGM sont en train de tout détruire. Il fait des recherches sur les sols et il remarque que les sols les plus riches et productifs sont ceux de l'agriculture biologique. Pour lui, c'est clair, il faut développer les connaissances en matière de cultures sans chimie. Il nous explique aussi que le gouvernement japonais est en train de se laisser tenter par le riz transgénique, sous la pression de l'industrie agro-chimique. Le riz transgénique devrait être importé de plus en plus massivement et à terme, autorisé en semence sur le territoire. Le problème du Japon, nous dit-il, c'est qu'il n'est pas du tout auto-suffisant. Par rapport à la population la surface agricole ne peut fournir la totalité des besoins alimentaires de base. En plus il n'existe que très peu de paysans de profession au Japon. La plupart des agriculteurs japonais le sont en annexe d'une profession principale. Toutefois, pour le professeur, ce modèle est intéressant et devrait être développé car il limite les problèmes financiers de l'exploitation grâce à un apport d'argent extérieur. Tatchimoto mène une étude sur la pollution des sols par les métaux lourds. Il est affolé par la quantité de pollution due à l'abandon des batteries et piles. Dans certains secteurs, il a même fallu restreindre la consommation de riz et légumes.

    Le lendemain matin, le professeur nous fait visiter son jardin, ses associations de légumes, ses préparations de purins de plantes, ses composteurs... Sa femme ne nous laisse pas partir sans prendre un très bon et très copieux petit déjeuner, puis nous emportons dans nos sacoches un énorme pique nique préparé par ses soins. Enfin le départ, nous partons pour Toyama, où nous sommes attendus par de nouveau espérantistes. Cependant, en route, nous ferons un petit détour par les services d'urgences de l'hôpital de Tonami.

     


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  • Du 25 septembre au 02 Octobre (164 km)

    Ce matin, le soleil brille et finit de sécher notre lessive de la veille. Nous enlevons les derniers crabes qui se sont réfugiés sous la tente, les sacoches et sous les roues des vélos. Les quelques spécimens que nous avions écrasés la veille ont déjà disparu, dévorés par leurs congénères. Comme convenu avec notre ami espérantiste, nous faisons demi-tour vers Fukui, cap plein Sud. Nous prenons une route désagréable à cause des camions et sans aucun intérêt d'un point de vue paysage. C'est une vaste plaine cultivée, avec de loin en loin des bâtiments industriels. Nous arrivons presque de nuit à Fukui. En cherchant un peu, nous trouvons en plein centre-ville un parc laissé à l'abandon avec des toilettes et une vieille structure en béton ressemblant aux ruines de notre civilisation. C'est parfait pour nous. Dans les toilettes, nous improvisons une douche avec la vache à eau suspendue grâce au bâton multifonction (anti-chien, anti-voiture et béquille de vélo). Le lendemain matin, comme prévu, nous rencontrons monsieur Kitagawa d'Obama, sur le pont près de l'allée des vieux cerisiers. Il nous emmène dans un tout petit restaurant caché dans une impasse. En poussant la porte de cette petite maison de ville, une vieille dame en tablier nous accueille chez elle et nous fait déguster les meilleurs sobas de la région (d'après Kitagawa). Au fait, ne vous étonnez pas si l'on nomme souvent les personnes par leur nom de famille, mais il est de coutume au Japon d'appeler les gens par leur nom. Il est aussi très intéressant de connaître la signification de leur nom et prénom. Leur traduction fait rêver, on se croit dans une tribue d'indiens d'Amérique : Fleur de Montagne, Torrent Noir, Grand Dragon, Pierre précieuse de la rivière, Souffle du vent, etc. Après ce délicieux repas, nous suivons Kitagawa à son cours d'espéranto. Nous y rencontrons des gens très sympas et tous sont un peu sans le vouloir écolos. L'un d'eux roule dans une toute petite voiture économique, l'autre vient de couvrir sa toiture de photovoltaïque, ... Pendant le cours d'Espéranto, nous parlons de géographie et d'écologie. Le soir, Kitagawa nous invite à le suivre chez des amis espérantistes paysans bio, habitants dans un coin paumé de montagne. Ce n'est pas du tout notre route, mais l'invitation est trop tentante. Au bout de 30 kilomètres de tunnels et de routes de plus en plus étroites, nous nous retrouvons dans une ferme de montagne. L'endroit est magnifique. Les pentes sont complètement boisées. Dans la vallée étroite serpente un cours d'eau bien vivant, frais et poissonneux. Les zones plates sont cultivées principalement en riz et blé noir. La petite route sinueuse marque la limite entre la forêt et les champs. La ferme se situe en hauteur par rapport à la route, accrochée à flanc de montagne. Ces paysans dégagent une joie de vivre et une simplicité qui nous met tout de suite à l'aise. Pour notre plus grand bonheur, la météo annonce de la pluie. Nous sommes invités à rester quelques jours ici et à profiter d'une petite maison qu'ils ont construit un peu plus haut dans la forêt. Ce chalet, équipé d'une cuisine et d'un petit poêle à bois est normalement réservé au citadins en mal de nature. Pour une fois, il servira à deux cyclistes en manque d'air pur et de nourriture saine.

    Le premier soir, nous participons à la rencontre mensuelle des altermondialistes du village. Cette rencontre a lieu tout naturellement dans cette maison, dans une grande salle largement vitrée au Sud-Ouest du bâtiment. Dans cette salle presque rien. Il n'y a qu'un poêle à bois et une table basse au milieu de la pièce. Quelques plantes séchées sont suspendues au plafond. Sur un mur, une vieille pendule à balancier est arrêtée. Au cours de cette réunion, les gens du village discutent ouvertement de tout ce qu'ils veulent. Partagent des récoltes, demandent un coup de main, OGM, nucléaire, voyage d'Alice et Cédric, le marché du dimanche matin, politique, météo, pêche, cuisine, etc. Tout ! On parle de Tout !

    L'histoire des habitants de cette maison est incroyable. Il faut qu'on vous raconte ! Il était une fois à Tokyo, des gens normaux. Tout ce qu'il y a de normal avec des métiers normaux (instituteur, banquière, cuisinière de cantine, etc). Ces citadins, un beau jour se sont rencontrés pour apprendre l'anglais. Puis découvrant l'espéranto, ils ont arrêté la langue de Shakespeare pour la langue de Zamenhof. Tous souffraient d'un mal commun : La malbouffe. Ils voulaient manger plus sain, et refusaient de se suicider avec du pain et des tomates pleins de produits chimiques. Alors ils se sont regroupés pour acheter des produits bio venant de la campagne Japonaise. Mais très vite ils ont déchanté. Les légumes arrivaient généralement en piteux états et si la nourriture avait un peu changé, ils continuaient de vivre dans le stress permanent de la ville. La foule du métro, la mêlée quotidienne sur les trottoirs, le bruit incessant des voitures, la pollution, le monde minéral, l'eau javellisée... Ils se sont donc mis en tête un jour, de quitter cette vie artificielle pour tout recommencer ailleurs, sous un ciel plus vrai et le bruit incessant de la vie, des oiseaux, des insectes, de l'eau et du vent dans les arbres. Ils ont donc continué de se rencontrer pour apprendre le métier de paysan. Comment planter des graines, tuer et vider un poulet, construire une maison, travailler la terre, cuisiner et conserver les aliments, construire un four à pain et faire son pain .

    Au cours de cette apprentissage très théorique, plongés dans les livres, ils ont décidé un beau jour d'aller voir un peu là-bas, dans les montagnes, la campagne loin de la ville. A quelques kilomètres à l'Ouest de Ono-Shi, ils ont trouvé un coin de terre suffisamment isolé et préservé. Au cours de la promenade, ils ont eu soif et ont bu l'eau d'une source provenant de la montagne. Cette eau fraiche naturelle, gratuite, non javellisée et non emprisonnée dans une quelconque bouteille plastique leur a fait un choc. Le déclic qui a fait que quelques semaines après ils quittaient tous leur travail et leur vie de citadin. Ils changeaient de peau et devenaient paysans. Ils ont construit de leur main leur maison traditionnelle en bois. Ils ont fabriqué leur four à pain et se sont mis à faire leur propre pain. Ils ont commencé à élever quelques poules pour les oeufs et la viande. Ils se sont émerveillés devant les légumes sortant de terre. Ils ont appris à reconnaître les plantes comestibles de la forêt. Au milieu de tout ces émerveillements, ils se sont épanouis, ils ont appris de leurs erreurs et se sont enrichis petit à petit. Dans leur maison aujourd'hui, l'eau du bain est chauffée au bois. Le plastique est quasi absent. Le moindre objet du quotidien est beau. Les ustensiles de cuisine en bambou, les étagères, les portes coulissantes et les systèmes de fermetures des portes simples, discrets, pratiques. Dans le couloir, un grand tableau d'ardoise sert à écrire le planning et les messages importants. Dans la cuisine, sous la table basse, un trou permet d'étendre les jambes et de ranger les coussins. Tout ou presque est fabriqué sur place et ils ont chacun développé des savoir-faire en fonction de leur préférence et loisirs. Ils se sont ainsi aménagés à chacun un atelier pour passer le temps des longs mois d'hiver où la neige les coupe du monde. Dans un atelier on fabrique des ustensiles et des jouets en bambou, dans l'autre on fabrique des cloisons traditionnelles en papier, ailleurs on fait de la couture, enfin le dernier atelier est pour l'artiste peintre, la céramique et les bouquets de fleurs séchées. Dans la maison, une grande salle accueille un salon de thé. magnifiquement décoré. Ouvert le week-end, les habitants du village et les gens de passage viennent profiter de cet espace pour déguster des produits bio, discuter, lire l'un des centaines de livres de la bibliothèque ou tout simplement profiter de cet endroit magique qui semble hors du temps. Nous rencontrons des citadins venus tout droit de Tokyo. Ils sont en apprentissage dans la ferme la moitié de l'année. Pendant l'hiver, ils retournent à Tokyo se faire un peu d'argent dans les petits boulots. Leur objectif est simplement de se préparer à faire le même grand saut et un beau jour, tout quitter et venir s'épanouir près de la nature. Cela peut paraître un peu baba-cool ou post-soixante-huitard comme projet. Peut-être que ca y ressemble en effet, à part qu'ici on ne boit que très peu d'alcool et on ne fume pas du tout de joints. Mais au final, est-il plus cohérant de rester vivre dans n'importe quelle grande ville déshumanisée pour la simple raison qu'il est plus normal de faire comme tout le monde ? Nous sommes tous en train de détruire la planète peut-être justement parce que la majorité d'entre nous fait comme tout le monde, sachant pertinemment que nous sommes sur la mauvaise voie. Au nom du progrès, notre monde est en train de moderniser à tout allure l'instrument qui sert à couper la branche sur laquelle nous sommes tous réfugiés.

    Au final, nous passons une semaine formidable dans la ferme, au milieu de cultivateurs cultivés, simples et heureux. Les journées sont toutes bien remplies. Fente de bois pour l'hiver, ramassage des châtaignes que l'on transforme en confiture, ramassage des oeufs, marché du dimanche matin, aide à la cuisine, pétrissage et cuisson du pain, discussions, dégustation et visite de la cave remplie de conserves maisons et semences diverses. Nous avons aussi rendu une visite de courtoisie chez un voisin paysan bio. Producteur laitier et amoureux des vaches jerzhaises, il a ouvert un petit magasin où il vend de la crème glacée si bonne que de nombreux japonais sont près à bruler des litres d'essence pour venir chez lui. Ou comment la glace bio est devenue non-écolo.

    Le jour du départ est assez difficile. Coeur lourd, gorge serrée et larme salée. Nous étions si bien ici. Jamais nous oublierons cet endroit et ses habitants. Nous y avons découvert et appris beaucoup de choses et nous savons déjà que notre vie future s'inspirera largement de la philosophie de cette ferme. Nous avions plus particulièrement sympathisé avec Shima qui était l'espérantiste la plus assidue et avec qui la communication était plus facile.

    Sous les coups de canon de la machine à souffler le riz du voisin, nous partons pour une belle ascension au travers d'une forêt de cèdre où vivent ours noirs et tanoukis. En redescendant sur Ono-Shi, nous nous arrêtons dire au revoir à notre ami laitier et nous dégustons une dernière crème glacée bio et vraiment écolo puisque nous sommes venus à vélo. Du courage, c'est ce qu'il nous faut pour une nouvelle longue ascension qui nous conduit au sommet d'une montagne pour le crépuscule. Nous redescendons de nuit sur une route bordant un lac probablement magnifique. Nous n'avons pas beaucoup de regrets de passer de nuit car la route est la plupart du temps souterraine. Nous nous devons d'avancer vite car demain dans la ville de Kanazawa, nous avons rendez-vous avec un autre espérantiste, le professeur Tatchimoto. La pluie menaçant nous nous réfugions dans un abris bus en rondin de bois avec portes coulissantes et fenêtre double vitrage. Un vrai petit chalet tout confort pour une belle nuit au sec, sans bruit, sans vent. Nous avons même pu prendre une douche chaude dans les WC handicapés d'une aire de repos.
    Le lendemain, le ciel est menaçant. Nous pédalons sans prendre le temps d'admirer le paysage qui en vaut pourtant le coup.

    Cédric : ''Dans une montée, Alice essaye d'escalader le trottoir pour se mettre en sécurité par rapport aux gros camions qui roulent trop vite à notre goût. Elle dérape, tombe et se blesse la main sur les petits cailloux. On ne sait plus quoi faire pour se protéger de tous ces assassins en puissances que sont les automobilistes. Au moment où je relève Alice je suis loin d'imaginer que demain ce sera à mon tour de tomber dans une version plus violente''

     

     


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