• Japon épisode 11 : Derniers kilomètres à travers le plus bel automne du monde

    Du 16 novembre au 04 décembre 2009 (655 km)

    Le jour de notre départ d'Hiroshima, nous devons rejoindre Fukuyama où nous sommes attendus par un autre espérantiste. Malheureusement, le trafic intense de camions et les fréquentes averses de pluie nous ralentissent beaucoup. En soirée nous sommes encore loin de notre destination. Nous trouvons refuge sous un abribus à proximité d'une université. Au petit matin, notre toit de tente est sec mais le tapis de sol a épongé l'eau ruisselante. Nous sommes trempés et gelés. Sans perdre de temps, nous pédalons jusqu'à Fukuyama où nous attend Yuda, conducteur de train à la retraite. En soirée, il nous invite au restaurant et il nous explique que le symbole de la paix dans cette ville, c'est la rose de papier. Fukuyama étant proche d'Hiroshima, de nombreuses personnes ont perdu des membres de leur famille. Yuda est un pacifiste déterminé d'autant plus que l'histoire de sa vie est liée à la bombe atomique. Il nous raconte que lorsqu'il était petit garçon, son père devait partir travailler exceptionnellement à Hiroshima, presque en dessous de ce que l'on appelle aujourd'hui le point zéro (endroit sous lequel la bombe a explosé dans le ciel). Toute la soirée, Yuda a attendu son père qui n'est jamais rentré. Allez expliquer à un enfant dans le cas présent, pourquoi son papa ne reviendra jamais à la maison.
    Le lendemain, il nous montre le grand jardin des roses où plus de 5000 habitants de Fukuyama ont planté un rosier en symbole de paix. Yuda nous montre la petite plaque qui porte son nom, au pied de son rosier. Avant de partir, il nous donne un petit guide d'origami pour apprendre à faire des roses en papier.

    Nous commençons la journée sur une route vraiment pas terrible, toujours en zone plus ou moins urbanisée avec notamment le passage périlleux sur l'autoroute aérienne. Heureusement, à l'entrée d'un musée, nous avons rendez-vous avec le super cycliste espérantiste Araï. Il nous promène sur de toutes petites routes et des chemins de campagne déserts et absolument magnifiques. Nous prenons une très agréable pause dans un salon de thé au pied d'un très vieux temple. Araï nous prend par les sentiments en nous offrant une soupe sucrée à base d'une variété locale de riz rouge, cultivé selon des méthodes traditionnelles et donc sans pesticide. La nuit tombe, mais nous avons un bon guide. Nous continuons la balade et nous visitons d'autres vieux temples illuminés par des centaines de lampions de papier. L'ambiance est irréelle ! Enfin nous arrivons chez Hideki et Idara Harada juste pour nous mettre les pieds au chaud sous la table basse et commencer un délicieux repas. Dans la soupière pleine de shabu shabu (genre de soupe de légumes divers), on rajoute régulièrement du saké. Après l'effort, l'alcool chaud que l'on boit à grande goulée dans la soupe, finit par nous tourner la tête.

    Après une bonne nuit de sommeil, Araï vient nous retrouver pour nous emmener voir sa fille et son petit fils. Nous allons en vélo jusqu'à la gare, puis nous prenons un train qui traverse la mer intérieure sur un immense pont, pour atteindre l'île de Shikoku. De retour sur Onshu, la fille d'Araï nous retrouve pour une balade dans une réserve naturelle du littoral, puis une délicieuse soupe de oudons. La cuisine japonaise est sans doute l'une des plus impressionnante au monde. Outre les saveurs extrêmement développées et variées, les japonais donnent une très grande importance à la présentation. Nous allons de surprise en surprise, ainsi, lorsque nous mettons les crevettes panées brûlantes dans la soupe de oudons bouillante, les crevettes deviennent effervescentes et notre nourriture se met à crépiter intensément. La nourriture devient alors visuelle et auditive en plus d'être goûtue.

    De retour à Okayama, nous avons rendez-vous avec des journalistes dans le parc de Kora kuen. Nos amis profitent de notre passage pour refaire un peu de publicité pour l'espéranto et bien sûr, pour que l'on parle de notre Portrait de Planète. Avec Kenro Kuen que nous avions visité sous la pluie en compagnie du professeur Tatchimoto, le parc de Kora kuen est l'un des 3 plus beaux du Japon. Dans ce parc, on essaye d'aider la reproduction des fameuses grues du Japon, symbole national et symbole de paix et longévité. Cet oiseau magnifique est passé très près de l'extinction il y a quelques années. Aujourd'hui en sursit, tout le monde s'émeut de la beauté et de la grâce de cet animal.
    Idara est contente de pédaler avec des cyclistes venus de loin. Elle aussi est une très grande cycliste. Elle n'a pas son permis de conduire et toute sa vie pour se rendre à son travail, été comme hiver, elle parcourait ses 12 kilomètres quotidiens sur son vélo japonais.

    Pour notre départ, Araï nous accompagne sur une vingtaine de kilomètres et nous donne quelques idées d'endroits où camper. En fin de journée, nous nous faisons virer d'un parc par le gardien, mais nous sommes relogés dans un meilleur endroit, sur le bord de la mer, à quelques mètres des vagues. Au réveil, nous sommes encerclés par un groupe de japonais ornithologues suréquipés en jumelles, longues vues et appareils photos. Ils sont venus observer les nombreux oiseaux de mer qui prennent leur petit-déjeuner près des rochers du rivage. Après avoir débattu sur l'itinéraire du jour, nous décidons de prendre la route la plus longue et difficile, mais aussi et de loin, la plus belle et la plus tranquille. Il y a toutefois des choses qui nous surprennent, comme ces gros chantiers navals en plein milieu de réserves naturelles classées.

    En soirée, nous arrivons à Himéji, ville célèbre pour son impressionnant château et les nombreux yakuzas qui se font la guerre et mènent plus ou moins discrètement leurs trafics divers. La météo annonce de la pluie. Il nous faut donc à tout prix, trouver un abri pour la nuit. Nous nous mettons en quête d'un toit de très bonne heure, mais tous les dessous de ponts et tous les abris possibles sont déjà pris par des groupes de sans-domicile. Ils sont des centaines et des centaines de malheureux, victimes de notre société, esclave du profit et d'une poignée de profiteurs. Leur seul chance, c'est d'être pauvres dans un pays riche et gaspilleur. Il peuvent ainsi s'équiper gratuitement en vélos de récupération, sacs à dos, petites radios, parapluies, chaussures, etc. Nous partageons notre repas du soir avec un vieux clochard cycliste ''mono-denté''. Il nous parle beaucoup, malheureusement nous ne comprenons pas grand chose. En échange de la nourriture, il nous offre un peu de musique. Il sort de son sac une vieille radio à pile et nous met un programme musical joyeux, en totale opposition avec la misère que reflète le visage de ce pauvre vieillard. Très tard dans la soirée, après avoir fait le tour de tous les abris, nous décidons de camper (malgré l'interdiction) sur la scène couverte aménagée dans le parc au pied du château.

    Au petit matin, nous sommes réveillés par un sexagénaire karatéka qui pratique un peu son art martial et maîtrise parfaitement les ninchakous, le sabre, le bâton et le grand écart. Ensuite, un saxophoniste vient partager la scène avec un vieux monsieur qui fait des pompes les jambes surélevées posées sur les gradins et une bande de vieillards habitués qui viennent jouer aux dominos sur la scène. Nous laissons tout ce petit monde à Himéji et nous reprenons la route vers Kobé. Désormais, les moments où nous pouvons pédaler en sécurité sur des routes de campagne deviennent très rares. La plupart du temps, les trottoirs étant trop étroits, nous n'avons d'autre choix que de rouler sur la route, ce qui ne plait pas à tous les automobilistes. Pour la première fois depuis que nous sommes au Japon, nous nous faisons engueuler par un chauffard. Dans sa grosse bagnole immatriculée 666, petites lunettes de soleil rondes sur le bout du nez, cheveux plaqués en arrière à la façon Travolta dans le film ''Pulpe Fiction'', les bras maigres et tout tatoués, la peau abimée probablement par toute la drogue qu'il a dû sniffer, pas de doute, c'est un yakuza. La route est trop étroite pour qu'il nous dépasse. A bout de nerfs, il klaxonne, fait vrombir son moteur, nous menace en se rapprochant rapidement des vélos. Il nous gueule dessus des insultes que les japonais n'osent même pas nous traduire par la suite. La femme qui l'accompagne nous aboie littéralement dessus : Djama ! Djama ! (dégage, dégage !). Malgré tout, même s'il nous fait un peu peur avec sa voiture, ce petit roquet ne nous impressionne pas beaucoup. Il finit par passer et se retrouve rapidement coincé derrière d'autres voitures. Pauv' type !

    Entre Himéji et Kobé, les yakuzas sont rois et allez savoir pourquoi, les Pachinkos sont aussi à touche-touche. Dans cette partie du Japon, les familles pauvres sont aussi majoritaires. A la sortie d'un magasin à prix discount, des pauvres gens s'extasient devant nos montures chargées. Un vieux monsieur qui parle un peu allemand nous fait comprendre que la vie n'est pas facile. Les sous manquent et il faut faire très attention à comment on les dépense. Il charge ses commissions sur son vieux vélo rouillé, sans lumière, sans frein, sans garde-boue et bientôt sans pédale ni chaîne, puis avant de partir nous fait cadeau du kilo de mandarines qu'il vient d'acheter 100 yens (environ 80 cents d'euro). Pour cette nuit nous trouvons un bon abri dans un beau parc boisé. Encore une fois, nous ne sommes pas seuls. D'autres sans logis dorment à proximité, sous des cabanes de bois et de plastique bleu. Il pleut toute la nuit.

    Le lendemain à Kobé, nous retrouvons Oki, un espérantiste qui nous accompagne dans le mémorial du célèbre tremblement de terre de 1995. Oki nous en parle très bien car il est l'un des survivants. Véritable scénario catastrophe, le Japon, pourtant vieil habitué des séismes, s'est laissé surprendre à 5h46 du matin par une secousse de magnitude 7,3. En quelques secondes, les maisons, les immeubles, les routes aériennes, s'effondrent. Le sol s'ouvre, les voitures disparaissent. Des courts-circuits partout provoquent des incendies, les canalisations d'eau éclatent. La ville n'est plus habitable. Les familles qui ont perdu leur maison se retrouvent logées dans des mobile-homes pour une durée indéterminée. La seule chance dans tout ce malheur, c'est que les japonais en ont vu d'autres. Après les bombes atomiques d'Hiroshima et Nagasaki, c'est triste à dire, mais ils savent mieux que n'importe quel autre pays au monde comment s'organiser dans l'urgence. L'aide internationale arrive aussi en réconfort et la ville se reconstruit à une vitesse incroyable. Ce séisme à permis de développer de nouvelles méthodes de constructions capable de supporter les grosses colères de la terre. Lorsque nous sortons du mémorial, Oki nous donne rendez-vous chez Ricko, une autre espérantiste très dynamique que nous avions rencontré au congrès national de Kofu. Elle habite assez loin et nous pédalons 2 heures de nuit, le long de grands boulevards, pendant que Oki se rend chez elle en 45 minutes de train. Ricko, qui est professeur d'espéranto, nous invite à faire une présentation de notre voyage devant ses élèves lycéens. Le lendemain, nous sommes très bien reçus par la direction du lycée, puis, les étudiants ont droit à une démonstration réelle de l'utilité de l'espéranto comme moyen de communication. Au travers du récit de voyage, nous essayons de les informer sur l'état de santé de la planète.

    Nous restons une nuit supplémentaire chez Ricko, puis au lieu de rentrer tout de suite à Osaka, nous décidons de passer une deuxième fois à Kyoto. Le soir, nous avons rendez-vous à la maison de l'espéranto de Kyoto où Tahira Masako doit nous guider jusque chez elle. Mais avant même de rejoindre l'ancienne capitale, nous avons rendez-vous pour un déjeuner biologique chez Yoko Matuda, une militante écolo qui lutte contre les OGM au Japon. Elle nous parle de Fukuoka, ce paysan qui avait dû lutter contre Monsanto, ce géant américain qui voulait lui acheter les variétés de riz qu'il avait mis tant de temps à sélectionner. Ce que Yoko nous raconte sur ce qu'elle vit au Japon à propos du nucléaire ou des OGM est en tout point similaire à ce que nous avons vu dans les autres pays. A chaque fois, une élite politique se soumet à la volonté des multinationales et la population est volontairement mal informée ou complètement désinformée pour être dispensée de faire des choix. Yoko collecte les semences traditionnelles pour les conserver et les protéger de ces multinationales qui fabriquent des OGM et privatisent les plantes et les animaux. Après un excellent repas et une discussion trop intéressante pour y mettre un terme aussi rapide, nous reprenons notre route en direction de Kyoto.

    En début de nuit, nous retrouvons Masako en compagnie d'autres espérantistes dans la maison de l'espéranto de Kyoto. Nous réservons la prochaine soirée pour une présentation de notre voyage puis nous rentrons chez Masako, dans sa belle et vieille maison de ville. Après une courte nuit, nous avons rendez vous avec un cycliste espérantiste qui se propose de nous guider à la découverte de Kyoto. Cette journée ensoleillée de fin novembre est sans aucun doute le meilleur moment pour découvrir ce que le Japon offre de plus beau. L'automne. Malgré les régiments entiers de photographes venus comme nous, faire le plein de couleurs dans les parcs entourant les vieux temples, nos yeux s'écarquillent et nous emmènent loin, très loin, dans un autre monde. Le soir à la présentation de notre voyage, en réponse à la récurrente question : quel à été votre pays préféré ? Difficile de ne pas mettre le Japon parmi les favoris.

    De retour chez Masako, militante écolo toujours à vélo, une discussion sur Hiroshima nous emmène sur le thème du nucléaire. Elle nous apprend que dans les centrales japonaises, le sale boulot est effectué par des intérimaires qui se déplacent de centrales en centrales. On les appelle les Tziganes du nucléaire, comme en France, les fameux nomades. Il bousillent leur santé en effectuant les travaux les plus pénibles et les plus dangereux dans les coins chauds des centrales. Ils sont payés une misère, vivent dans des caravanes ou dans des dortoirs et ont peu de chance de profiter un jour de leur retraite.

    Le 27 novembre, c'est une longue journée de vélo pour rentrer chez Arisa à Izumi Shi, au Sud d'Osaka. Comme nous avions fait le trajet inverse il y a près de 3 mois, nous pensons que la rive gauche du Yodugawa sera plus agréable à longer. Effectivement, nous trouvons une belle piste cyclable aménagée dans une vaste zone inondable. Le seul gros problème qui gâche tout, ce sont ces foutues barres de fer censées filtrer les véhicules motorisés pour ne laisser passer que des vélos sans sacoches. Tous les kilomètres, nous sommes obligés de porter nos énormes montures au dessus de ces fichus barrières. De retour chez Arisa et Kimiko, en plus de se sentir comme à la maison, nous sommes accueillis comme des rois. Un bain chaud nous attend, suivi d'un bon repas et d'un lit confortable. Le prochain bateau pour la Chine est dans une semaine. Nous prenons le temps de revoir le contenu de nos sacs et nous renvoyons en France les petits objets accumulés au fur et à mesure des rencontres et découvertes. Nous en profitons aussi pour vérifier les vélos et acheter quelques pièces de rechange dans le même magasin que nous avions découvert en arrivant au Japon.

    Au moment de partir, nous avons le coeur lourd. Nous attendions tellement de ce pays, qu'il aurait été facile d'être déçu. Bien au contraire, le choc culturel a été encore plus profond que ce que nous avions imaginé. Nous avons retrouvé des amis, nous sommes rentrés dans des maisons et nous avons vécu au rythme de la vie traditionnelle japonaise. Sur le pont du bateau, nos bras s'agitent vers le quai où Kimiko et Arisa, comme nous, ont les yeux brouillés de larmes. Les amarres sont larguées, l'encre levée, la corne de brume du bateau salue une dernière fois le Japon et nous voici partis pour de bon.
    Entre Shikoku et Onshu, nous regardons les montagnes et les villes que nous avons traversés. A peine au large de Kiushu, la mer devient mauvaise. Notre immense bateau soulève sans cesse sa coque hors de l'eau avant de retomber dans un immense fracas. Plus personne ne se promène sur le pont ou dans les couloirs. Le capitaine est concentré sur les vagues et les passagers comme nous, misérables marins d'eau douce, se laissent torturer par le fantôme du ''mal de mer'' qui vient nous tirer les boyaux et nous laisse plié en deux, la tête dans un sac plastique. Il n'y a qu'à être patients, on finira bientôt par arriver dans les eaux boueuses de la mer jaune. Les immenses cargos porte-conteneurs se font de plus en plus nombreux, nous approchons de la Chine. La page du Japon est tournée, mais l'aventure continue.

     

    « entretien téléphonique avec France Bleu BerryRetour en France, le voyage n'est pas terminé! »

  • Commentaires

    1
    Carl
    Lundi 14 Juin 2010 à 14:42
    Interview
    Bonjour, je suis journaliste à France Bleu Berry et je n'arrive pas à me connecter à votre site qui semble "en dérangement". J'aimerais réaliser avec vous une interview téléphonique pour faire le point sur votre périple à un mois maintenant de votre retour prévu en Berry. Si vous êtes d'accord Merci de me répondre si possible dans la semaine au mail joint pour m'indiquer vos disponibilités. Cordialement. Carl Dechâtre.
    2
    Lundi 25 Juillet 2016 à 17:00

    Japan makes me wonder over and over again. I have never visited this mystery country before but I am sure this travel will change my mind!

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