• Japon épisode 4 - Une semaine fantastique chez les néo-ruraux Bio-esperanto-écolos du Japon !

    Du 25 septembre au 02 Octobre (164 km)

    Ce matin, le soleil brille et finit de sécher notre lessive de la veille. Nous enlevons les derniers crabes qui se sont réfugiés sous la tente, les sacoches et sous les roues des vélos. Les quelques spécimens que nous avions écrasés la veille ont déjà disparu, dévorés par leurs congénères. Comme convenu avec notre ami espérantiste, nous faisons demi-tour vers Fukui, cap plein Sud. Nous prenons une route désagréable à cause des camions et sans aucun intérêt d'un point de vue paysage. C'est une vaste plaine cultivée, avec de loin en loin des bâtiments industriels. Nous arrivons presque de nuit à Fukui. En cherchant un peu, nous trouvons en plein centre-ville un parc laissé à l'abandon avec des toilettes et une vieille structure en béton ressemblant aux ruines de notre civilisation. C'est parfait pour nous. Dans les toilettes, nous improvisons une douche avec la vache à eau suspendue grâce au bâton multifonction (anti-chien, anti-voiture et béquille de vélo). Le lendemain matin, comme prévu, nous rencontrons monsieur Kitagawa d'Obama, sur le pont près de l'allée des vieux cerisiers. Il nous emmène dans un tout petit restaurant caché dans une impasse. En poussant la porte de cette petite maison de ville, une vieille dame en tablier nous accueille chez elle et nous fait déguster les meilleurs sobas de la région (d'après Kitagawa). Au fait, ne vous étonnez pas si l'on nomme souvent les personnes par leur nom de famille, mais il est de coutume au Japon d'appeler les gens par leur nom. Il est aussi très intéressant de connaître la signification de leur nom et prénom. Leur traduction fait rêver, on se croit dans une tribue d'indiens d'Amérique : Fleur de Montagne, Torrent Noir, Grand Dragon, Pierre précieuse de la rivière, Souffle du vent, etc. Après ce délicieux repas, nous suivons Kitagawa à son cours d'espéranto. Nous y rencontrons des gens très sympas et tous sont un peu sans le vouloir écolos. L'un d'eux roule dans une toute petite voiture économique, l'autre vient de couvrir sa toiture de photovoltaïque, ... Pendant le cours d'Espéranto, nous parlons de géographie et d'écologie. Le soir, Kitagawa nous invite à le suivre chez des amis espérantistes paysans bio, habitants dans un coin paumé de montagne. Ce n'est pas du tout notre route, mais l'invitation est trop tentante. Au bout de 30 kilomètres de tunnels et de routes de plus en plus étroites, nous nous retrouvons dans une ferme de montagne. L'endroit est magnifique. Les pentes sont complètement boisées. Dans la vallée étroite serpente un cours d'eau bien vivant, frais et poissonneux. Les zones plates sont cultivées principalement en riz et blé noir. La petite route sinueuse marque la limite entre la forêt et les champs. La ferme se situe en hauteur par rapport à la route, accrochée à flanc de montagne. Ces paysans dégagent une joie de vivre et une simplicité qui nous met tout de suite à l'aise. Pour notre plus grand bonheur, la météo annonce de la pluie. Nous sommes invités à rester quelques jours ici et à profiter d'une petite maison qu'ils ont construit un peu plus haut dans la forêt. Ce chalet, équipé d'une cuisine et d'un petit poêle à bois est normalement réservé au citadins en mal de nature. Pour une fois, il servira à deux cyclistes en manque d'air pur et de nourriture saine.

    Le premier soir, nous participons à la rencontre mensuelle des altermondialistes du village. Cette rencontre a lieu tout naturellement dans cette maison, dans une grande salle largement vitrée au Sud-Ouest du bâtiment. Dans cette salle presque rien. Il n'y a qu'un poêle à bois et une table basse au milieu de la pièce. Quelques plantes séchées sont suspendues au plafond. Sur un mur, une vieille pendule à balancier est arrêtée. Au cours de cette réunion, les gens du village discutent ouvertement de tout ce qu'ils veulent. Partagent des récoltes, demandent un coup de main, OGM, nucléaire, voyage d'Alice et Cédric, le marché du dimanche matin, politique, météo, pêche, cuisine, etc. Tout ! On parle de Tout !

    L'histoire des habitants de cette maison est incroyable. Il faut qu'on vous raconte ! Il était une fois à Tokyo, des gens normaux. Tout ce qu'il y a de normal avec des métiers normaux (instituteur, banquière, cuisinière de cantine, etc). Ces citadins, un beau jour se sont rencontrés pour apprendre l'anglais. Puis découvrant l'espéranto, ils ont arrêté la langue de Shakespeare pour la langue de Zamenhof. Tous souffraient d'un mal commun : La malbouffe. Ils voulaient manger plus sain, et refusaient de se suicider avec du pain et des tomates pleins de produits chimiques. Alors ils se sont regroupés pour acheter des produits bio venant de la campagne Japonaise. Mais très vite ils ont déchanté. Les légumes arrivaient généralement en piteux états et si la nourriture avait un peu changé, ils continuaient de vivre dans le stress permanent de la ville. La foule du métro, la mêlée quotidienne sur les trottoirs, le bruit incessant des voitures, la pollution, le monde minéral, l'eau javellisée... Ils se sont donc mis en tête un jour, de quitter cette vie artificielle pour tout recommencer ailleurs, sous un ciel plus vrai et le bruit incessant de la vie, des oiseaux, des insectes, de l'eau et du vent dans les arbres. Ils ont donc continué de se rencontrer pour apprendre le métier de paysan. Comment planter des graines, tuer et vider un poulet, construire une maison, travailler la terre, cuisiner et conserver les aliments, construire un four à pain et faire son pain .

    Au cours de cette apprentissage très théorique, plongés dans les livres, ils ont décidé un beau jour d'aller voir un peu là-bas, dans les montagnes, la campagne loin de la ville. A quelques kilomètres à l'Ouest de Ono-Shi, ils ont trouvé un coin de terre suffisamment isolé et préservé. Au cours de la promenade, ils ont eu soif et ont bu l'eau d'une source provenant de la montagne. Cette eau fraiche naturelle, gratuite, non javellisée et non emprisonnée dans une quelconque bouteille plastique leur a fait un choc. Le déclic qui a fait que quelques semaines après ils quittaient tous leur travail et leur vie de citadin. Ils changeaient de peau et devenaient paysans. Ils ont construit de leur main leur maison traditionnelle en bois. Ils ont fabriqué leur four à pain et se sont mis à faire leur propre pain. Ils ont commencé à élever quelques poules pour les oeufs et la viande. Ils se sont émerveillés devant les légumes sortant de terre. Ils ont appris à reconnaître les plantes comestibles de la forêt. Au milieu de tout ces émerveillements, ils se sont épanouis, ils ont appris de leurs erreurs et se sont enrichis petit à petit. Dans leur maison aujourd'hui, l'eau du bain est chauffée au bois. Le plastique est quasi absent. Le moindre objet du quotidien est beau. Les ustensiles de cuisine en bambou, les étagères, les portes coulissantes et les systèmes de fermetures des portes simples, discrets, pratiques. Dans le couloir, un grand tableau d'ardoise sert à écrire le planning et les messages importants. Dans la cuisine, sous la table basse, un trou permet d'étendre les jambes et de ranger les coussins. Tout ou presque est fabriqué sur place et ils ont chacun développé des savoir-faire en fonction de leur préférence et loisirs. Ils se sont ainsi aménagés à chacun un atelier pour passer le temps des longs mois d'hiver où la neige les coupe du monde. Dans un atelier on fabrique des ustensiles et des jouets en bambou, dans l'autre on fabrique des cloisons traditionnelles en papier, ailleurs on fait de la couture, enfin le dernier atelier est pour l'artiste peintre, la céramique et les bouquets de fleurs séchées. Dans la maison, une grande salle accueille un salon de thé. magnifiquement décoré. Ouvert le week-end, les habitants du village et les gens de passage viennent profiter de cet espace pour déguster des produits bio, discuter, lire l'un des centaines de livres de la bibliothèque ou tout simplement profiter de cet endroit magique qui semble hors du temps. Nous rencontrons des citadins venus tout droit de Tokyo. Ils sont en apprentissage dans la ferme la moitié de l'année. Pendant l'hiver, ils retournent à Tokyo se faire un peu d'argent dans les petits boulots. Leur objectif est simplement de se préparer à faire le même grand saut et un beau jour, tout quitter et venir s'épanouir près de la nature. Cela peut paraître un peu baba-cool ou post-soixante-huitard comme projet. Peut-être que ca y ressemble en effet, à part qu'ici on ne boit que très peu d'alcool et on ne fume pas du tout de joints. Mais au final, est-il plus cohérant de rester vivre dans n'importe quelle grande ville déshumanisée pour la simple raison qu'il est plus normal de faire comme tout le monde ? Nous sommes tous en train de détruire la planète peut-être justement parce que la majorité d'entre nous fait comme tout le monde, sachant pertinemment que nous sommes sur la mauvaise voie. Au nom du progrès, notre monde est en train de moderniser à tout allure l'instrument qui sert à couper la branche sur laquelle nous sommes tous réfugiés.

    Au final, nous passons une semaine formidable dans la ferme, au milieu de cultivateurs cultivés, simples et heureux. Les journées sont toutes bien remplies. Fente de bois pour l'hiver, ramassage des châtaignes que l'on transforme en confiture, ramassage des oeufs, marché du dimanche matin, aide à la cuisine, pétrissage et cuisson du pain, discussions, dégustation et visite de la cave remplie de conserves maisons et semences diverses. Nous avons aussi rendu une visite de courtoisie chez un voisin paysan bio. Producteur laitier et amoureux des vaches jerzhaises, il a ouvert un petit magasin où il vend de la crème glacée si bonne que de nombreux japonais sont près à bruler des litres d'essence pour venir chez lui. Ou comment la glace bio est devenue non-écolo.

    Le jour du départ est assez difficile. Coeur lourd, gorge serrée et larme salée. Nous étions si bien ici. Jamais nous oublierons cet endroit et ses habitants. Nous y avons découvert et appris beaucoup de choses et nous savons déjà que notre vie future s'inspirera largement de la philosophie de cette ferme. Nous avions plus particulièrement sympathisé avec Shima qui était l'espérantiste la plus assidue et avec qui la communication était plus facile.

    Sous les coups de canon de la machine à souffler le riz du voisin, nous partons pour une belle ascension au travers d'une forêt de cèdre où vivent ours noirs et tanoukis. En redescendant sur Ono-Shi, nous nous arrêtons dire au revoir à notre ami laitier et nous dégustons une dernière crème glacée bio et vraiment écolo puisque nous sommes venus à vélo. Du courage, c'est ce qu'il nous faut pour une nouvelle longue ascension qui nous conduit au sommet d'une montagne pour le crépuscule. Nous redescendons de nuit sur une route bordant un lac probablement magnifique. Nous n'avons pas beaucoup de regrets de passer de nuit car la route est la plupart du temps souterraine. Nous nous devons d'avancer vite car demain dans la ville de Kanazawa, nous avons rendez-vous avec un autre espérantiste, le professeur Tatchimoto. La pluie menaçant nous nous réfugions dans un abris bus en rondin de bois avec portes coulissantes et fenêtre double vitrage. Un vrai petit chalet tout confort pour une belle nuit au sec, sans bruit, sans vent. Nous avons même pu prendre une douche chaude dans les WC handicapés d'une aire de repos.
    Le lendemain, le ciel est menaçant. Nous pédalons sans prendre le temps d'admirer le paysage qui en vaut pourtant le coup.

    Cédric : ''Dans une montée, Alice essaye d'escalader le trottoir pour se mettre en sécurité par rapport aux gros camions qui roulent trop vite à notre goût. Elle dérape, tombe et se blesse la main sur les petits cailloux. On ne sait plus quoi faire pour se protéger de tous ces assassins en puissances que sont les automobilistes. Au moment où je relève Alice je suis loin d'imaginer que demain ce sera à mon tour de tomber dans une version plus violente''

     

     

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