• Japon épisode 7 : Retrouvailles avec Tsuneaki le grand voyageur


    Du 23 au 31 octobre 2009

    Arrivés au crépuscule dans le village de Tsuneaki, nous nous retrouvons plongés dans le Japon rural et montagneux, mystérieux aussi. Au premier regard, nous ne reconnaissons pas notre ami. D'abord parce qu'il n'a plus ses cheveux longs avec sa couette de samouraï et qu'il a aussi rasé sa barbiche de jamaïcain, ensuite parce qu'il est au volant d'une voiture, nous qui l'avions connu seulement chevauchant son vélo trop chargé. Ces retrouvailles nous mettent tous d'une humeur joyeuse infatigable, un peu comme si un pari fou venait de se réaliser. Quelque chose dit autour d'une bière allemande, sur le ton de la rigolade, du genre : « Chiche, on se donne rendez vous chez toi au Japon, à vélo, pour boire un coup ! ». Et voilà chose faite. Nous y sommes. Nous pouvons enfin voir concrètement d'où venait ce grand voyageur qui dormait toujours avec sa machette offerte par des guerriers éthiopiens et sa grosse peluche de gorille offerte par des Argentins. Nous rencontrons les parents de Tsuneaki qui tiennent l'épicerie du village et continuent de résister au rouleau compresseur des grandes chaînes américaines de Monsieur W. Mart. Ils nous mettent tout de suite au parfum. ''Vous êtes ici chez vous et nous vous considérons comme nos enfants. Vous pouvez dormir autant que vous voulez, manger ce qui vous fait plaisir, vous n'avez qu'à vous servir dans le magasin''.

    Après son incroyable épopée, hors du temps et des sentiers battus, Tsuneaki a retrouvé du travail dans le tourisme de sa région. Il est devenu guide et fait tout pour que les gens prennent conscience de la beauté de la région. A plusieurs reprises nous l'accompagnons avec des groupes de touristes. Nous avons la chance de pénétrer dans une immense grotte dont la beauté est malheureusement gâchée par des projecteurs multicolores et des hauts parleurs déguisés en pierre qui diffusent de l'information et des excuses, et des bonjours, bienvenu, merci beaucoup, à la prochaine, bon retour, soyez prudent sur la route, etc. Cette cacophonie nous tape vite sur les nerfs alors nous essayons de repérer les détecteurs de présence et nous réalisons quelques acrobaties pour passer sans les déclencher.
    Tsuneaki n'aime pas ces hauts parleurs et ces lumières. Il n'aime pas non plus le pont suspendu qui mène à la grotte et fait des lâchés de milliers de bulles de savons plusieurs fois par jours.

    Un autre jour, nous allons faire une ballade magnifique dans les montagnes entourant le village de Ueno. Nous marchons dans des forêts de hêtres et de cèdres sur des sentiers étroits et pentus empruntés il n'y a pas si longtemps par les habitants d'un village situé au sommet de cette petite montagne. Vers midi, nous atteignons un temple abandonné à coté duquel trône majestueusement un grand if. Quelques centaines de mètres plus loin, le village en question. Les maisons sont toujours là et les meubles, les objets, les photos, n'ont bougé que par la force des typhons, qui ont fini par briser les vitres et les cloisons de papier de certaines habitations. Nous avons vraiment le sentiment de traverser un village fantôme tout droit sortie d'un film de Myasaki.

    Cédric : ''Heureusement que Tsuné est bavard et que les pauses sont nombreuses. Je me rends compte que je suis loin d'avoir récupéré toutes mes forces après l'accident et j'ai un mal fou à suivre le groupe. En fin de journée, nous avons droit à un bon bain dans un onsen juste à coté de belles chutes d'eau. Le soir, exténué, propre et détendu, pas besoin de berceuse. Je m'endors aussitôt le futon déroulé sur les tatamis.''

    Dans le village de Ueno, nous assistons stupéfaits et émerveillés à un changement de société. Le grand changement qui devrait suivre la soit-disante prise de conscience générale dont tout le monde parle tant mais dont personne ou presque ne change ses comportements. Il y a dans ce coin du Japon des gens qui n'ont pas vu ce dont nous avons été témoins au cours de ce voyage, la pollution des grandes villes, les déchets de la société de consommation, la destruction de la planète à tous les niveaux, les dégâts immenses de l'agriculture et de l'élevage intensifs. Et pourtant, à Ueno, de nombreuses maisons sont habitées par des gens du cru comme Tsuneaki ou par des néo-ruraux de plus en plus nombreux, déterminés et combatifs pour redémarrer la vie à la campagne. Tous les soirs nous sommes invités dans des maisons où nous rencontrons des gens formidables qui semblent avoir compris beaucoup de choses et se donnent les moyens de réaliser leur rêve. Que ce soit chez Mickaël, originaire des Etats-unis, chez Kasu ou chez les amis potiers, les enfants grandissent dans des maisons traditionnelles où toutes les sources de pollutions sont réduites au maximum. Les tatamis sont fabriqués avec de la paille biologique. Les jouets sont en bois local et non traité. La nourriture est biologique et locale au maximum. Les WC fonctionnent avec la sciure de bois de la scierie du village. Bien sûr dans ces maisons, vous ne trouverez pas de mobilier neuf en aggloméré, ni de casseroles recouvertes de téflon. Par contre vous y trouverez des gens chaleureux, généreux, d'une extrême gentillesse et surtout des enfants heureux et épanouis.
    Tsuneaki nous explique qu'il y a une réelle volonté de développer ce coin perdu du Japon. Il nous montre ce qui pour lui est une mauvaise voie : les logements communaux pour néo-ruraux construits sur le modèle citadin. D'après Tsuné, c'est exactement ce qu'il ne faut pas faire car les gens viennent avant tout pour vivre à la campagne et prendre part à la vie locale. Il vaut mieux en priorité, développer les liens sociaux, les relations entre les habitants et bien sur la culture qui permet de s'ouvrir au monde.

    Le 29 octobre enfin, le nouveau vélo arrive. Au début, il est difficile d'imaginer que la boîte en carton contient vraiment un vélo couché. Sacré travail de montage en perspective ! A peine, les morceaux sortis du carton que nous entamons le démontage complet du vélo accidenté pour réexpédier ce dernier vers la France. Tsuneaki qui travaille comme un fou et qui préférerait sans doute passer plus de temps avec sa petite amie Miho, consacre sa seule journée de repos hebdomadaire avec nous pour ce laborieux travail de désossage et ce véritable casse-tête consistant à remettre le vieux vélo dans un carton taillé aux dimensions maximales acceptées pour un colis postal. Il faudra un sacré courage aux membres de l'association ''Portrait de planète'' pour remonter tout le vélo et notamment la totalité des rayons des deux roues.

    Le montage du nouveau vélo n'est pas non plus une partie de plaisir. Tsuneaki est équipé à peine plus qu'un voyageur. Nous devons emprunter la perceuse d'un voisin et quelques outils dans une autre maison.

    Cédric ''Les premiers tours de roues sont laborieux. Je ne sais pas si cela vient de moi ou de cette nouvelle version du Seiran Voyager avec son porte bagage plus haut et plus en arrière et son siège inclinable, mais je n'y arrive pas. Je zigzague sans arrêt et en descente je suis presque obligé de mettre pied à terre. Nous voilà bien si je ne suis plus capable de faire du vélo! Pourtant la veille, avant de démonter mon vieux vélo et lui dire au revoir, j'avais réussi à faire quelques petits tours dans la cour pendant que Alice promenait Chipie, l'adorable petite chienne de Tsunéaki.''

    Au bout de neufs jours de récupération, avec des bains dans le onsen, des repas bio chez les amis et la découverte de la vie rurale japonaise, nous sommes prêts à affronter de nouveau le trafic routier et nous diriger à Tokyo où nous attend la désagréable corvée des demandes de visas chinois.

    Les amis du village viennent tous les uns après les autres pour nous dire au revoir. Ils alourdissent nos sacoches de nourriture, de fruits secs biologiques et de remèdes traditionnels à base de plantes. Nous sommes tellement heureux d'avoir pu revoir Tsunéaki chez lui. Nous réalisons que la maladie du voyage, ou plus exactement le besoin de voir le monde réel en dehors des mirages touristiques, peut frapper n'importe qui, n'importe où. Que ce soit au fin fond de la montagne japonaise, dans le Nord de la Creuse ou dans le bronx de New York city, des voyageurs naissent.

     

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