• Japon épisode 9 : Shikoku

    Du 6 au 12 novembre (350 km)

    Notre traversée de l'île de Shikoku restera sans doute l'un des plus beaux moments de notre périple au Japon. Tout d'abord parce que nous avons souvent eu la possibilité de suivre des petites routes avec peu de trafic. Ensuite, parce que la tranquillité mêlée à la beauté des paysages d'automne et à la gentillesse des gens est à peu près tout ce qui peut rendre notre voyage heureux. Notre seul regret aura été de ne pas pouvoir rencontrer le professeur, philosophe et paysan  Manasobu Fukuoka, décédé au début de notre voyage. Nous vous invitons donc à prendre connaissance des ouvrages de ce grand homme qui a inventé et développé avec succès des méthodes culturales à la fois productives et respectueuses de la terre.

    Notre premier plaisir à peine débarqués sur l'île, vient d'une boulangerie. Par miracle nous trouvons du pain délicieux et des brioches pour le petit déjeuner, de quoi bien commencer la journée. Le marathon de la veille et la courte nuit sur le bateau nous incite à nous coucher de bonne heure. Nous consacrons donc toute notre fin de journée à la recherche du meilleur endroit pour camper. Il nous faudrait des toilettes à proximité, une vue splendide, une exposition à l'est pour que le soleil du matin nous lève et sèche la tente, bien sûr, des tables et des bancs, et surtout pas de voitures à proximité. Notre quête nous conduit dans un parc sur une petite montagne. Après une ascension très fatigante sur une route étroite et sinueuse, nous atteignons un beau parc tranquille d'où la vue panoramique sur la ville en contre bas nous jouera des tours. Car si nous passons une bonne soirée seuls, pendant la nuit sous les étoiles, cet endroit élevé devient le rendez-vous des amoureux. Les couples défilent sans cesse autour de notre tente pour contempler la vallée et l'éclairage de la ville qui se mêle au loin avec les étoiles. Bien sur, les filles qui sortent du restaurant rigolent facilement après avoir bu deux ou trois verres de saké et font taper leurs talons aiguilles sur les pavés. Parfois, en voyant notre tente, les couples s'auto-incitent à se taire et font de grands ''CHHUUUTT''. Après les sorties de restaurants, ce sont les départs en discothèque puis les retours. En clair, le défilé dure toute la nuit. Heureusement, pour les bivouacs suivants, nous sommes plus chanceux.

    En nous voyant sur nos vélos, les gens doivent nous prendre vraiment pour des malheureux, car plusieurs fois par jour, on nous donnent des biscuits, des bonbons, des pâtisseries... Les gens s'arrêtent même dans des magasins puis, nous rattrapent avec leur voiture pour nous arrêter et nous offrir ces présents. Sommes nous si maigres ? Nous finissons par comprendre ce qui nous arrive, Shikoku est très célèbre pour ses pèlerins et il est toujours bon et valorisable auprès du tout puissant d'offrir de la nourriture au pauvre pèlerin (surtout quand ils sont sur des vélos "d'handicapés"). L'île possède 88 temples (88 = chiffre porte bonheur) et il est dit qu'un pèlerinage autour de tous ces temples peut vous ouvrir à coup sûr les portes du paradis. Aujourd'hui, même si ces croyances persistent chez certains, de plus en plus de gens utilisent ce prétexte pour s'offrir une grande randonnée sur une très belle île. On pourrait parler de St Jacques de Compostelle à la japonaise. Le grand avantage d'être sur un chemin de pèlerinage en plus de la générosité des gens, c'est que l'on peut dormir partout, les policiers ne viennent pas nous virer. Généralement, nous dormons à proximité des aires de repos. Ce sont des endroits très pratiques car on peut y acheter des produits régionaux et on peut également prendre des douches chaudes dans les toilettes pour handicapés. Il y a aussi les tables, l'électricité, les endroits chauffés et l'eau bouillante à volonté. Bref, le luxe voire même le paradis lorsque l'on rajoute les cadeaux que nous donnent les employés après leur journée de travail. Une nuit, nous dormons sur une pelouse bien tondue de l'autre coté d'une aire de repos, en contrebas d'une digue. Au petit matin, nous sommes réveillés par des gens qui marchent et puis de temps à autre, nous entendons des POC ! ...POC ! ...CLAC ! Oups, nous avons dormi sur un terrain de golf.

    Le temps se détériore petit à petit. Il fait de plus en plus gris et froid. Parfois nous préférons carrément manger dans des petits restaurants qui s'avèrent être vraiment très bons marchés et délicieux. Perdus dans des petits villages de campagne, il faut parfois être très observateur pour découvrir ces petits établissements où nous pouvons nous régaler et nous réchauffer avec la spécialité locale : les oudons, (soupes de grosses nouilles fraîches). Finalement le temps se gâte et la pluie fait son apparition. Évidemment, c'est toujours dans ces moments là que nous ne trouvons pas d'endroits convenables pour passer la nuit. La fatigue, le froid et l'humidité étant favorables aux microbes, nous décidons un soir de nous faire plaisir. Après avoir demandé à quelques personnes, nous trouvons un splendide onsen où pour 5 euros chacun, nous pouvons nous relaxer et nous réchauffer dans une eau très chaude et thérapeutique. Quand nous ressortons du bain, il fait nuit noire. Nous demandons aux dames du onsen si elles ne connaissent pas un endroit abrité pour que l'on puisse planter notre tente qui prend l'eau. Finalement, l'une d'entre elles nous rapporte des bouteilles d'eau potable sulfureuse en nous expliquant que c'est bon pour notre corps, puis elle nous invite à suivre sa voiture jusque sous un pont où les gens du village réunis en petite coopérative agricole entreposent la paille de riz. Bien à l'abri du vent et de l'humidité, c'est un endroit idéal. Il y a même une petite cabane avec des toilettes, une cuisine et de la lumière. Nous nous offrons une bonne nuit de repos avant de repartir pour la journée probablement la plus humide du voyage.
    Une pluie froide et continue s'abat sur nous, alors que c'est une étape pleine de montées. A 5 km/h nous nous laissons progressivement envahir par cette eau qui s'infiltre par les manches, le col et les fermetures. Un bref répit nous est offert le midi dans un restaurant. Les cuisinières prennent pitié et nous offrent des plats chauds, du thé et la possibilité de nous sécher près des braises qui servent à griller les poissons. Au bout d'une heure et demie de séchage, nous repartons, toujours sous l'eau. Les gens nous disent que demain, c'est le même vilain temps. Au bout de 70 km nous trouvons une aire de repos. Le magasin vient de fermer, il ne nous reste que les toilettes et pour une fois, pas de douches chaudes ni de sèche-mains. Un autre pèlerin cycliste s'est réfugié ici, pour une nuit. Nous faisons connaissance et nous installons nos tentes sous l'abri de la place de parking pour handicapés. Malheureusement pour nous, pendant la nuit, le vent tourne, il tombe de violentes averses et il y a même du tonnerre. Résultat, au petit matin, notre tente est une piscine et tout, absolument tout est mouillé. Rien ne sèche et le temps est toujours à la pluie. Nous décidons de rester une journée supplémentaire et de déplacer le campement de l'autre coté de la route sous l'appentis d'une maison abandonnée au pied d'une falaise. Nous entamons le séchage de nos affaires et pour nous réchauffer, nous passons toute la journée sur les tatamis du salon de thé de l'aire de repos. Parfois il faut savoir s'arrêter. Le lendemain, le soleil est revenu, il fait un temps magnifique et bon pédaler. Nous venons de traverser d'est en ouest l'île de Shikoku. Un dernier col à près de 800 mètres puis une énorme descente de 15 kilomètres qui nous conduit à la mer pour prendre un bateau et retourner à Onshu sur la route d'Hiroshima.

    Nous avons deux heures de traversée et lorsque nous débarquons à Yanaï à proximité du projet de centrale nucléaire, le soleil se couche. Jamais facile de trouver un bon endroit où dormir lorsqu'il fait nuit et que nous sommes en ville. Après un dîner dans une grande surface, installés sur des tables en plastiques dans le coin pachinko pour enfants, nous demandons aux employés s'ils connaissent un parc tranquille pour camper. Nous aurions mieux fait de ne rien demander car les voilà partis à chercher des plans de cadastre pour nous montrer exactement où se situe le camping. Nous ne comprenons pas grand chose à leurs indications, simplement il nous semble avoir repéré un parc dans le centre ville. Comme le ciel se couvre à nouveau et que la météo annonce le retour de la pluie, après avoir longuement hésité, nous nous installons confortablement dans les grands toilettes handicapés du parc. Le gardien nous a repéré mais il nous laisse tranquille et heureusement car la pluie tombe toute la nuit. Demain, une longue journée nous attend. Nous allons à Hiroshima.

     

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