• Japon épisode 8 : Tokyo

    Du 1er au 5 novembre 2009 (208 km)

    C'est avec grand peine que nous quittons Tsuneaki. Nous réalisons, que nous aurions dû partir le lendemain car aujourd'hui c'est dimanche. Sur les petites routes de campagne, beaucoup de japonais brûlent du pétrole pour le simple plaisir d'user les pneus de leur voiture ou moto. Le niveau de notre moral est déjà au plus bas et comme si cela ne suffisait pas, les chaînes de nos vélos se cassent l'une après l'autre. Le ciel se couvre d'épais nuages accélérant ainsi la tombée du jour. Nous atteignons une vaste zone industrielle au nord de Tokyo où nous ne parvenons pas à trouver un endroit convenable pour camper. Les lampadaires commencent à éclairer la route en même temps que la pluie se met à tomber. Finalement, nous trouvons refuge sous un petit kiosque en bois au bord du parking d'une grande salle de spectacle. Notre tente n'étant plus du tout étanche, nous sommes contraints de trouver de quoi nous protéger de la pluie.

    Vers 22h00, alors que nous sommes complètement épuisés par cette première journée de vélo depuis l'accident il y a près d'un mois, un homme vient nous parler à travers la toile de tente. Nous ne comprenons pas grand chose, surtout qu'il nous tire de notre premier sommeil. Avant que nous soyons habillés, l'inconnu est déjà parti et nous laisse tranquille. 20 minutes plus tard, il revient accompagné d'une voiture de police. Les phares de la voiture à quelques mètres de nous sont braquées sur notre tente. Nous n'avons pas le choix, il faut nous lever rapidement et sortir « les mains en l'air ». L'homme qui a appelé les forces de l'ordre n'est autre que le gardien de parking. Les 4 policiers, venus en renfort, nous expliquent que : ''Tento damé!''. Nous n'avons pas le choix, quand quelque chose est ''damé'', c'est indiscutable, il faut partir. Toutefois, nous essayons d'entamer des négociations. Comme nous sommes des étrangers, nous leur expliquons tout avec l'espoir qu'ils soient compréhensifs; Les passeports bourrés de visas, nous venons de France, à vélo,il pleut, notre tente prend l'eau, il est tard, nous sommes très fatigués et nous partons demain de bonne heure pour Tokyo.

     

    Les policiers sont épatants. Comme ils ne sont pas en mesure de faire exception à la loi, ils essayent de la faire changer en repassant ce dossier épineux dans les mains du gardien et en lui faisant comprendre qu'il serait bien de nous laisser tranquille. Ce dernier se retrouve avec un cas de conscience qu'il ne pourra pas se pardonner s'il renvoie sous la pluie ces deux voyageurs tremblotants venus du bout du monde. Il décide donc d'appeler son directeur malgré l'heure tardive pour demander une dérogation express en notre faveur. 5 minutes plus tard il revient et parle aux policiers. Apparemment un compromis à été trouvé. Nous avons le droit de dormir ici sous conditions : nous devons partir demain matin, alcool ''damé'', drogue ''damé'', ''gomi'' (déchets) ''damé''. Avant de partir, les policiers nous demandent à quelle heure nous nous réveillerons. Oyasumi nasaï (bonne nuit), il est 23h00!
    Au petit matin, 7h00, à l'heure dite, les mêmes policiers viennent nous réveiller et nous souhaitent bonne route avant d'aller eux même se coucher. Il ne pleut plus mais le ciel, encore gris et triste nous promet de belles averses. C'est une journée vraiment galère. Un vrai parcours du combattant. La route mouillée est super dangereuse et grouillante de camions. Les pistes cyclables se terminent brusquement dans des champs, ou sur des berges de rivières, ou encore au pied de voies ferrées sans passage à niveau. Nous n'avons d'autre choix que de prendre les grands ponts interdits aux vélos. En début d'après-midi, il se met à pleuvoir. Nous cherchons un endroit au sec pour manger. Au milieu des industries fraîchement abandonnées à cause de la crise, nous trouvons un Pachinko ouvert. Les Pachinkos sont des genres de salles de jeux où les gens jouent avec des machines à sous pour le seul plaisir de perdre de l'argent. Les Pachinkos sont souvent la propriété de yakouzas qui se servent de ces établissements pour blanchir l'argent de trafics divers. Dans le cas présent, nous entrons dans une immense salle pleine à craquer de jeux bruyants et lumineux. Quelle cacophonie ! Nous faisons un petit tour à l'intérieur mais nous ne voyons personne. C'est un Pachinko fantôme. Sous l'oeil des caméras, nous décidons de sortir le casse-croûte et nous nous installons bien au chaud sur une table de camping et deux chaises de jardin au milieu des machines? Dehors la pluie nous attend bien sagement. Elle a décidé de nous accompagner pour le reste de la journée.

    En soirée nous atteignons le nord de Tokyo. Sur des kilomètres et des kilomètres, que des magasins de bagnoles de chaque coté du boulevard. Une fois de plus, trouver un bon endroit où dormir va être une épreuve. En début de nuit, nous trouvons un beau parc arboré, ouvert. Nous allons y faire un tour et nous trouvons un endroit pas mal, abrité, à proximité des toilettes. Nous n'avons que le temps d'aller dans une épicerie acheter de quoi manger, lorsque nous revenons, un sans-abri s'est installé. Cette fois-ci, nous n'avons plus le choix. Sous la protection très sommaire d'un pin sylvestre nous installons notre tente qui instantanément prend l'eau aussi bien par le toit que par le tapis de sol. Au petit matin, vers 6h00, nous sommes réveillés par le gardien qui nous rappelle que ''tento damé''. Il nous demande de partir jusqu'à ce que nous ouvrions la porte et qu'il découvre le parapluie déployé à l'intérieur de la tente. Le voilà parti à rire d'un rire fou ! Il balbutie quelques mots qui doivent vouloir dire:''Allez donc vous sécher maintenant. c'est une belle journée aujourd'hui. Prenez votre temps, je ne vous embêterai plus''.

    Nous prenons le petit déjeuner sous le regard des gens qui promènent leur chiens où ceux qui commencent leur journée par une séance de Taï Shi ou de gym tonique en musique. Une fois secs et réchauffés, le matériel rangé et les vélos chargés, nous pouvons nous jeter enfin dans la gueule de la capitale japonaise.

    Cédric : ''En fait, le problème de stabilité ne venait pas de mon nouveau vélo, mais de moi. Je devais être stressé par la reprise du vélo. Maintenant que je suis plus détendu, je prends plaisir à circuler sur les trottoirs et à gérer mes trajectoires de manière précise. Mon nouveau vélo est agréable à conduire. Une fois dans le centre de Tokyo, je me rends compte que cela fait quelques temps que j'ai froid à l'entre-jambes. Arrêté à un feu, au milieu d'une foule de piétons, je regarde en bas et constate que mon pantalon est bien déchiré, laissant apparaître mes dessous usés. LA HONTE ! Je tire sur mon tee-shirt jusqu'au prochain « Convenient Store » où je m'empresse d'aller me changer dans les toilettes. Cette fois-ci, mon pantalon tant et tant de fois reprisé par Alice a définitivement rendu l'âme, après un an et demi d'utilisation quotidienne.''

    Le soir nous, arrivons chez Daishin, un jeune espérantiste de notre âge qui vie au Sud de Tokyo dans un tout petit appartement, guère plus grand qu'une caravane.Nous décidons de rester le moins de temps possible dans cette jungle urbaine, préférant de loin, pédaler sur des petites routes de campagne qui sentent bon l'automne. En premier, nous nous attaquons aux visas chinois. Après quelques bons moments de galères dans le métro, nous atteignons l'ambassade chinoise. Tokyo, c'est une caricature de société bureaucrate. Nous évoluons au milieu d'une foule de gens équipés de costard cravate noir, téléphone portable et porte document, chemise blanche, pantalon trop court, petite chaussures en cuir brillantes, boissons énergétiques, complément alimentaires et médicaments anti -stress, anti-brûlures d'estomac, anti-fatigue, etc... Bref, une société moderne basée sur la compétition, l'apparence et où tout le monde rêve d'avoir sa place, sauf nous. Devant l'ambassade de Chine, toute une armée de soldats prêts à livrer bataille. Nous constatons bien vite que tous ces renforts militaires sont présents pour contenir en cas de débordement, une permanence de 3 manifestants pacifiques tenant une banderole réclamant la libération de prisonniers politiques au pays de Mao.
    Dans l'ambassade, on nous promet des visas en une semaine ou en 24 heures si nous sommes prêts à payer le prix fort. Une fois n'est pas coutume, nous choisissons l'option rapide.

    L'après- midi, nous rencontrons une association d'information sur le nucléaire au Japon. Bien que nous passions à l'improviste, nous sommes super bien reçus par Phillip, un australien habitant le Japon depuis un bout de temps. Autour d'une tasse de thé et de biscuits biologiques, nous discutons d'écologie et bien sûr de nucléaire. Cette association représente le Japon pacifique et s'oppose au nucléaire en informant le plus largement possible les citoyens. Il faut savoir que le cauchemar des bombes d'Hiroshima et de Nagasaki ont rendu profondément pacifique, une très large majorité de japonais. Malgré tout, le gouvernement, comme dans à peu près tous les pays que nous avons traversés, est en totale opposition avec la volonté du peuple. Les hommes politiques essaient de faire entrer de force dans la tête des gens que le nucléaire civile peut-être bon et sans danger. Cette association a donc pour devoir de rappeler quelques vérités, entre autres, que le nucléaire partout dans le monde, à un moment ou un autre, est relié aux militaires; que le nucléaire n'est toujours pas propre et qu'on a toujours pas de solution pour les déchets; que l'extraction d'uranium non plus n'est pas propre et est loin de respecter les droits de l'homme; que les nombreux accidents, séismes ou même les menaces terroristes dont il fait l'objet ne permettent pas de classer le nucléaire parmi les énergies sans danger.

    Phillip nous explique que les japonais, culturellement, se rebellent très rarement contre des décisions du gouvernement. Toutefois, en ce moment même, 80 km au sud ouest d'Hiroshima, un projet de nouvelle centrale nucléaire a mis les citoyens en colère. Ce projet devrait bétonner un littoral magnifique d'une extrême diversité biologique. Que ce soit au niveau des oiseaux, reptiles, poissons, coquillages, paysage, économique et social, ce projet est une véritable aberration et les habitants d'ordinaires si sages, se révoltent. Les pêcheurs traditionnels qui sont en passe de perdre leur travail, leur maison, leur histoire et leur nature, manifestent tous les jours ! Ils sont en permanence en mer, sur leurs petits bateaux et veillent à ce que tout le monde sache ce que le gouvernement s'apprête à détruire ici.

    De retour à la maison après avoir flâné dans les parcs et le long de grandes avenues bordées de tours modernes pleines de magasins chics et moches, nous organisons une soirée crêpes sans Daishin car malheureusement, celui-ci travaille beaucoup trop et rentre bien trop tard.

    Le lendemain, c'est une journée marathon. Daishin a téléphoné au port et un bateau (LE bateau hebdomadaire) part ce soir pour l'île de Shikoku. Nous devons traverser la ville pour aller récupérer nos visas chinois. La permanence des 3 chinois manifestant devant l'ambassade est toujours là. Les militaires aussi. Nous avons juste le temps de nous arrêter dans un bistrot qui vend des hamburgers végétariens et biologiques, puis de faire quelques courses dans un petit magasin de produits bio hors de prix. De retour chez Daishin assez tard car nous avons pris le mauvais train qui ne s'arrêtait pas à notre station, nous bouclons nos sacoches rapidement et partons vers le fameux port. En réalité, nous sommes presque à coté, mais le pont qui peut nous emmener sur la presqu'île est interdit aux vélos. Nous sommes obligés de faire un détour qui nous rallonge de 15 kilomètres. Le bateau lève l'ancre à 19h30. Il nous reste moins d'une heure trente pour trouver le port et acheter nos billets.

    Sans savoir comment, nous nous retrouvons sur des routes aériennes pleines de camions alors que la nuit tombe. Nous crions de peur ; niveau de stress maximal ! Plus nous approchons, plus il y a de gros camions transportant des conteneurs et qui doivent eux aussi, embarquer. Près de ces ports industriels, la route est défoncée et même pas éclairée. Nous venons de courir toute la journée et la course n'est pas terminée. Quand enfin nous apercevons un bateau qui ressemble à un ferry, nous cherchons à le rejoindre mais entre lui et nous, des centaines de camions en attente qui manœuvrent et roulent dans tous les sens. Un peu plus loin, dans un gros bâtiment, des lumières sont allumées. Il y a peut-être quelqu'un à l'intérieur à qui nous pourrions demander. Nous faisons le tour jusqu'à ce que l'on trouve la porte. Par chance, un jeune homme parle parfaitement anglais. Il est jardinier et retourne chez lui à Shikoku après avoir travaillé à Londres dans des jardins anglais. Il nous aide à acheter nos billets et embarque sur le même bateau. Nous sommes juste à l'heure. OUFFF !!! Dans une cabine sans hublot, nous dormons du sommeil du juste bercés par la mer avec un réveil toutefois très matinal à 5h00 pour contempler le soleil levant. Spectacle grandiose où le soleil rouge semble s'arracher à la mer. On dirait la naissance d'un astre.

     

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